Les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de demandes relatives aux sites de la société Amazon services Europe à l’étranger.

Cour de Cassation, Com. 5 juill. 2017, n°14-16.737

La question de l’application de l’article 5.3 du Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale a refait surface lors d’un litige opposant la société française Concurrence, distributeur de produits d’électronique grand public, et un de ses fournisseurs, la société Samsung Electronic France, à propos du contrat de distribution sélective les liant.

L’article 5.3 concernant la détermination du tribunal compétent, dispose en matière délictuelle ou quasi délictuelle, qu’« une personne, domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ».

En l’espèce, la société Samsung Electronic France avait mis fin à ses relations contractuelles avec son distributeur agréé, la société Concurrence, en raison de la vente en ligne par cette dernière de produits haut de gamme Samsung sur le site « concurrence.fr » alors que son contrat le lui interdisait. Estimant que cette disposition contractuelle était appliquée de manière discriminatoire, la société Concurrence avait assigné Samsung, en référé devant le Tribunal de Commerce de Paris, pour obtenir la livraison des produits sans être tenue de la respecter.

Le Tribunal de commerce a rejeté ses demandes. La société Samsung Electronic France a alors interjeté appel du jugement.

Après rejet de ses demandes en première instance et en appel, elle avait assigné en référé devant les juridictions françaises Samsung France ainsi que la société Amazon services Europe, établie au Luxembourg, elle-même distributeur agréé de Samsung, pour obtenir le retrait de toute offre de produits Samsung sur les différents sites étrangers de cette dernière.

Cependant, le Tribunal de Commerce puis la Cour d’Appel retiennent l’incompétence des juridictions françaises au motif que « le juge français n’est compétent pour connaître des litiges liés à la vente sur Internet que si le site sur lequel la distribution est assurée vise le public français ».

La société Concurrence forme alors un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel au motif qu’en matière délictuelle, les juridictions de l’état sur le territoire duquel le site incriminé est accessible, sont compétentes et qu’à supposer que le critère de l’accessibilité du site ne soit pas suffisant, la Cour d’Appel n’avait pas recherché, contrairement à ce qui lui était demandé, si le système mis en place par Amazon ne permettait pas d’expédier des produits en France, ce qui justifiait la compétence du juge français.

Ce litige qui opposait une société de vente de produits électroniques via internet et la société Samsung, toutes deux unies par un contrat de distribution sélective a été l’occasion pour la chambre commerciale de poser, dans ce domaine, les règles de compétence judiciaire au visa de l’article 5, point 3, du règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 et son interprétation par la Cour de justice de l’union européenne (CJUE).

La Cour de Cassation a donc décidé de surseoir à statuer et a posé à la Cour de Justice de l’Union européenne par arrêt du 10 novembre 2015 la question suivante :

« L'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit-il être interprété en ce sens qu'en cas de violation alléguée d'interdictions de revente hors d'un réseau de distribution sélective et via une place de marché, au moyen d'offres de vente mises en ligne sur plusieurs sites exploités dans différents Etats membres, le distributeur agréé s'estimant lésé a la faculté d'introduire une action en cessation du trouble illicite qui en résulte devant la juridiction sur le territoire duquel les contenus mis en ligne sont accessibles ou l'ont été, ou faut-il qu'un autre lien de rattachement soit caractérisé ? »

En d’autres termes, la question était ici de savoir si les juridictions françaises étaient compétentes dans la mesure où les produits en cause étaient offerts à la vente via les sites « amazon.fr », « amazon.de », « amazon.es », « amazon.it » et « amazon.co.uk ».

Ce qui a donné lieu à un arrêt du 21 décembre 2016 (CJUE 21 déc. 2016, n°C-618/15, D. 2017. 15) selon lequel « le texte précité doit être interprété, aux fins d’attribuer la compétence judiciaire conférée par cette disposition pour connaître d’une action en responsabilité pour violation de l’interdiction de vente en dehors d’un réseau de distribution sélective résultant de l’offre, sur des sites internet opérant dans différents États membres, de produits faisant l’objet dudit réseau, en ce sens que le lieu où le dommage s’est produit doit être considéré comme étant le territoire de l’État membre qui protège cette interdiction de vente au moyen de l’action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes ».

C’est donc sur la base de cette analyse que a chambre commerciale a cassé pour violation l’arrêt de la cour d’appel de Paris (RG 13/12976) qui avait considéré les juridictions françaises incompétentes au motif que le site internet en cause ne visait pas le public français en ces termes :

Vu l'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu que par un arrêt du 21 décembre 2016 (C-618/15), la CJUE a dit pour droit que l'article 5, point 3, de ce règlement doit être interprété, aux fins d'attribuer la compétence judiciaire conférée par cette disposition pour connaître d'une action en responsabilité pour violation de l'interdiction de vente en dehors d'un réseau de distribution sélective résultant de l'offre, sur des sites internet opérant dans différents États membres, de produits faisant l'objet dudit réseau, en ce sens que le lieu où le dommage s'est produit doit être considéré comme étant le territoire de l'État membre qui protège ladite interdiction de vente au moyen de l'action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes ;

Attendu que pour dire les juridictions françaises incompétentes pour connaître des demandes relatives aux sites de la société Amazon services Europe à l'étranger, l'arrêt retient que le juge français n'est compétent pour connaître des litiges liés à la vente sur internet que si le site sur lequel la distribution est assurée vise le public de France et que dès lors, c'est à bon droit que le premier juge s'est déclaré incompétent pour ce qui concerne les « sites d'Amazon à l'étranger », en l'occurrence amazon.de, amazon.co.uk, amazon.es et amazon.it ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

En définitive, cette décision de la Cour de cassation a le mérite d’ouvrir un nouveau champ aux juridictions nationales eu égard à l’ampleur du commerce électronique réalisé grâce à ces plateformes. Elle privilégie la compétence des juridictions françaises en cas d’atteinte à un droit via internet.