Effet direct des directives communautaires non transposées

Le Conseil d'Etat a effectué le 30 octobre 2009 un revirement de jurisprudence tout à fait exceptionnel. L'Assemblée du contentieux, formation la plus prestigieuse du Conseil d'Etat, est revenue sur la célèbre décision du 22 décembre 1978 rendue par le Conseil réuni en Assemblée : Ministre de l'Intérieur contre Cohn-Bendit. En l'espèce, la requérante était une magistrate française candidate à un poste de formation à l'école de la magistrature. Cette nomination lui a été refusée, en raison selon elle de son activité syndicale, ce qui constitue en ce cas une mesure discriminatoire illégale. Elle se prévalait d'une directive communautaire du 27 novembre 2000 (directive n° 2000/78/CE) qui organisait les règles de preuve dans le cas de discriminations. La nomination d'une autre candidate à ce poste a été effectuée par un décret de 2006, date à laquelle le délai de transposition de la directive était expiré sans que l'administration n'ait pourvu à cette obligation de transposition. Cette obligation de transposition revêt une double dimension, à la fois communautaire et constitutionnelle, puisqu'elle est établie à la fois par le Traité instituant la Communauté Européenne et par la Constitution en son article 88-1. Le juge administratif rappelle dans sa décision qu'il est juge de droit commun de l'application du droit communautaire, et qu'il doit à ce titre garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de l'obligation de transposition, et ce à l'égard des personnes publiques. Après cette précision, le Conseil édicte un considérant de principe des plus clairs : “tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ”. Auparavant, le Conseil d'Etat refusait d'admettre l'invocabilité d'une directive non-transposée en estimant que la directive n'avait pas d'effet direct sur la situation d'une personne individuelle puisqu'elle posait des obligations aux Etats et non aux particuliers… En l'espèce, la directive invoquée n'avait pas le caractère inconditionnel requis par le Conseil d'Etat pour être applicable directement, parce qu'elle dispensait l'aménagement de la charge de la preuve aux pays où le juge disposait de pouvoirs d'instruction, ce qui est le cas en France. Le Conseil considère néanmoins que le juge administratif doit demander aux parties de lui fournir toutes les pièces nécessaires à la procédure inquisitoires qu'il est chargé de mener, et a défini dans cette décision un dispositif de charge de la preuve destiné à s'appliquer en cas de discrimination. Cette décision marque un tournant décisif dans l'application du droit communautaire en matière de directives non transposées, et œuvre pour une application plus uniforme des droits conférés aux individus par l'Union Européenne.