Caractérisation de l’infection nosocomiale : l’alignement des ordres de juridictions

Cass, civ. 1ère 06 avril 2022, n°20-18.513

Par un arrêt récent du 06 avril 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a apporté des précisions sur le caractère nosocomial d’une infection, s’alignant désormais avec le Conseil d’Etat.

Dans le cas d’espèce, une patiente présentait une fracture de la cheville. Elle a ainsi été opérée et a subi une ostéosynthèse au sein d’une Clinique Privée. Les suites opératoires ont été compliquées par le gonflement de la cheville et une inflammation, nécessitant une nouvelle prise en charge opératoire. A l’occasion de prélèvements réalisés, il a été mis en évidence la présence d’un staphyloccus aureus multisensible.

La victime a présenté une demande indemnitaire devant les Juges du Fond, formulée à l’encontre de l’Office National d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Dès la première instance, il sera jugé que l’infection contractée n’était pas nosocomiale.

La Cour d’appel poursuivait cette position en retenant également que l’infection ne pouvait être reconnue comme étant nosocomiale et ce, pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, il était mentionné que l’état cutané de la patiente présentait plusieurs lésions, en amont de l’intervention. Sur ce point, il est pourtant de jurisprudence constante que l’état préexistant du patient n’empêche pas la caractérisation de l’infection nosocomiale.

Ensuite, la Cour a considéré que le germe retrouvé était d’ores et déjà présent sur la peau de la patiente, le qualifiant ainsi « d’endogène ». Là encore, il s’agit d’une méconnaissance de la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère depuis de nombreuses années que la qualification d’infection nosocomiale n’est pas limitée aux infections d’origine exogène (Cass. Civ 1ère, 04 avril 2006, n°04-17.491).

Enfin, le rapport d’expertise judiciaire a été repris pour exclure la caractérisation nosocomiale de l’infection en ce que l’état de santé préexistant du patient aurait été fondé sur son tabagisme chronique. Une nouvelle fois, cela ne peut – au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation – être retenu pour la définition de l’infection nosocomiale.

Pour casser l’arrêt rendu, la Cour de cassation apporte une définition précise, au visa du Code de la santé publique, comme suit : « doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial, une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge. »

Ce faisant elle rappelle les principes précités indiquant que l’existence de prédispositions pathologiques chez la victime et le caractère endogène du germe ne suffisent pas à écarter tout lien avec l’intervention réalisée, de sorte que le caractère nosocomial est maintenu.

Jusqu’à lors, l’infection nosocomiale était définie par l’article R6111-6 du Code de la santé publique (CSP) qui dispose que : « Les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales. » Cette définition est toutefois circoncise à une donnée temporelle : toutes les infections contractées pendant une prise en charge au sein d’un établissement de santé sont dites nosocomiales.

Le Conseil d’Etat a précisé cette définition bien avant la juridiction civile. Effectivement dès 2013, le Conseil d’Etat jugeait, au visa de l’article L.1142-1 du CSP que : « si ces dispositions font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère soit rapportée, seule une infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale », CE 21 juin 2013, n°347350.

Puis, en 2018, le Conseil d’Etat ajoutera une notion plus qu’importante à la définition de l’infection nosocomiale : « sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge » CE, 23 mars 2018, n°402237.

Cette précision est essentielle et apporte une composante supplémentaire à la caractérisation de l’infection nosocomiale, qui n’est plus seulement temporelle. Effectivement, même si l’infection survient au cours ou au décours de la prise en charge et qu’elle n’était pas en incubation au jour de la prise en charge, cette infection peut tout de même ne pas être qualifiée de nosocomiale dès lors qu’elle a une origine autre que la prise en charge.

Depuis 2018 donc, il a fallu attendre la position de la Cour de cassation.

C’est désormais chose faite avec l’arrêt commenté. L’infection nosocomiale peut donc être définie par deux critères :

- L’infection nosocomiale a été contractée au cours ou au décours de la prise en charge - L’infection nosocomiale a pour origine la prise en charge.

Cette dernière précision est reprise par la Cour de cassation qui indique avec minutie qu’il est nécessaire que « tout lien » soit écarté entre l’intervention réalisée et la survenue de l’infection, pour que celle-ci ne soit pas qualifiée de nosocomiale. Or en l’espèce, il sera rappelé que l’existence de prédispositions pathologiques et le caractère endogène du germe ne permettent pas d’écarter entièrement le lien avec l’intervention réalisée au sein de la Clinique. Ce faisant, l’indemnisation de la patiente sera prise en charge par l’ONIAM.

Cette prise de position de la Cour de cassation est à saluer pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’unification des ordres de juridictions sur cette position est plus qu’appréciable, dans un souci d’indemnisation homogène des victimes. En outre, des présomptions de lien de causalité sont établies dès lors que l’infection est survenue au cours d’une intervention. Il appartient à l’établissement de santé ou à l’ONIAM de rapporter la preuve que la prise en charge n’est pas à l’origine de l’infection ou que l’infection résulte d’une cause étrangère.

En définitive, la chambre de civile de la Cour de cassation vient confirmer les principes largement établis depuis de nombreuses années et précise une nouvelle fois les critères d’appréciation du caractère nosocomial.

Pauline FONLUPT