La lutte contre le harcèlement scolaire par la loi du 2 mars 2022

Les cas de harcèlement sont pris au sérieux depuis maintenant de nombreuses années, si bien que le législateur est venu, petit à petit, les encadrer par des dispositions légales précises :

• La loi du 17.01.2002 a inséré dans le Code pénal l’infraction de harcèlement moral ; • Un pas de plus était opéré avec la loi du 09.07.2010 qui a créé un délit spécifique de harcèlement du conjoint, partenaire de PACS ou concubin, qui subit une dégradation de ses conditions de vie (on sort alors de la sphère purement professionnelle) ; • La loi du 04.08.2014 a étendu le délit de harcèlement à toutes les situations

Restait alors un grand absent au sein de ce travail législatif : l’encadrement et la répression du harcèlement scolaire.

Cette lutte est d’autant plus importante que les chiffres sont édifiants : En France, plus d’un élève sur dix scolarisé en CE2, CM1 et CM2 est victime de harcèlement scolaire. Parmi les concernés, 3% souffrent d’un harcèlement jugé « sévère ». La tendance ne s’inverse pas à l’arrivée en classe de sixième, puisque 10% des collégiens sont touchés, parmi lesquels 7% d’une forme grave. Au lycée, enfin, les chiffres sont un peu moins inquiétants, mais le harcèlement ne disparaît pas pour autant. Près de 4% des lycéens restent impactés.

Au total, c’est plus de 700 000 élèves qui décrivent des cas de harcèlement chaque année, avec des conséquences plus ou moins graves. Alors que certains se trouvent peu à peu en échec scolaire, d’autres souffrent de traumatismes plus profonds (angoisse, dépression, troubles du sommeil, etc.) pouvant les conduire jusqu’au suicide.

C’est dans ce contexte que la loi du 2 mars 2022 est intervenue, en créant un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Ce texte attendu s’organise autour de la prévention des cas de harcèlement (I) et du traitement judiciaire des faits (II).

I – PREVENIR LE HARCELEMENT SCOLAIRE

L’article L 11-6 alinéa 1er du Code de l’éducation est désormais rédigé en ces termes :

« Aucun élève ou étudiant ne doit subir de faits de harcèlement résultant de propos ou comportements, commis au sein de l'établissement d'enseignement ou en marge de la vie scolaire ou universitaire et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de dégrader ses conditions d'apprentissage. Ces faits peuvent être constitutifs du délit de harcèlement scolaire prévu à l'article 222-33-2-3 du code pénal ».

Il est donc demandé à chaque établissement public ou privé et CROUS de prendre des mesures à cette fin dans le but de :

• Prévenir l’apparition des situations de harcèlement • Favoriser leur détection par la communauté éducative • Y apporter une réponse rapide et coordonnée • Le cas échéant, orienter les victimes, témoins et auteurs vers les services et associations susceptibles de proposer un accompagnement

Il est également sollicité de ces établissements de délivrer chaque année, aux élèves ainsi qu’à leurs parents, une information sur les risques liés au harcèlement scolaire en ce notamment compris le cyber-harcèlement qui, de par la présence des réseaux sociaux, constitue un terreau largement favorable d’apparition des cas de harcèlement.

Cette loi prévoit alors de former les personnels éducatifs ainsi que les policiers en ce sens.

Enfin, l’article L. 543-1 du Code de l’éducation exige désormais que le projet d’école prévoit des lignes directrices sur le sujet du harcèlement scolaire et spécialement sur la prise en charge des victimes.

Ne souhaitant pas limiter son champ d’action au seul stade de la prévention, le législateur est par ailleurs venu instaurer un arsenal de traitement judiciaire des cas de harcèlement scolaire.

II – LE TRAITEMENT JUDICIAIRE DES CAS DE HARCELEMENT

Ainsi que nous l’avons indiqué, la loi du 2 mars 2022 a inséré au sein du Code pénal un article spécifique au harcèlement scolaire, l’article 222-33-2-3.

Concrètement, le délit de harcèlement scolaire est constitué par des faits de harcèlement moral commis à l’encontre d’un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d’enseignement. La qualification de harcèlement scolaire est également encourue si les faits de harcèlement se poursuivent alors que l’auteur ou la victime n’étudie plus ou n’exerce plus au sein de l’établissement.

Ces faits peuvent être des propos ou des comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de vie de la victime, entrainant une altération de sa santé physique ou mentale.

La sévérité de ce texte réside également dans la fixation des peines d’emprisonnement (de 3 ans à 10 ans en fonction des conséquences subies par la victime) et d’amende (jusqu’à 150 000 €) fixées.

La loi prévoit également un certain nombre de peines accessoires telles que la confiscation des outils ayant servi au harcèlement ou l’obligation d’effectuer un stage de formation civique ou stage de citoyenneté pour l’auteur.

Un autre temps fort de cette loi est la modification de l’article 60-1 du Code pénal qui accorde désormais aux services enquêteurs des moyens supplémentaires pour récolter les preuves de ce harcèlement ; ils peuvent donc « par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, le cas échéant selon des normes fixées par voie réglementaire, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, la remise des informations ne peut intervenir qu'avec leur accord ».

Ce texte tant attendu met désormais en place bon nombre de moyens permettant de lutter efficacement contre ce fléau que constitue le harcèlement scolaire.

Mais quels sont les écueils de cette loi ?

Tout d’abord, on peut regretter que l’Assemblée Nationale ait jugé préférable de supprimer les dispositions proposées par le Sénat et qui visaient notamment à permettre aux parents :

• d’obtenir une dérogation à la carte scolaire afin de pouvoir inscrire leur enfant dans un autre établissement d’un autre secteur ou d’une autre commune ; • ou encore de choisir d’instruire leur enfant à leur domicile en cours d’année

Par ailleurs, face à l’omniprésence des réseaux sociaux et l’augmentation du temps passé par les mineurs à surfer dessus, il pourrait être intéressant de s’interroger sur la fixation d’une limite d’âge pour leur utilisation ou encore de renforcer les sanctions du non-respect du consentement parental pour l’inscription d’un mineur de 15 ans sur un de ces réseaux.

Quoiqu’il en soit et dans l’attente de la prochaine étape dans la lutte de ce fléau qu’est le harcèlement, il est à espérer, dans un futur proche, que cette loi du 2 mars 2022 permette d’infléchir avec efficacité ces chiffres ô combien inquiétants.

Cécile CREVANT