Fraude intentionnelle à la mention manuscrite : pas de nullité de l’engagement

Récemment, la chambre commerciale de la Cour de cassation a été saisie pour la première fois de la question de la fraude consistant dans le caractère volontaire d’une telle irrégularité. Elle nous a enseigné que la fraude pouvait être prise en considération en matière de mentions manuscrites. (Cass. com., 5 mai 2021, no19-21.468). La caution qui détourne sciemment le formalisme de protection constitué par l’adage ad validitatem d’une mention manuscrite, en faisant recopier par un tiers cette mention obligatoire en matière de cautionnement, ne peut ensuite invoquer la nullité de l’acte pour ne pas l’avoir rédigée elle-même Il résulte plus précisément du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites sous peine de nullité du cautionnement, interdit à cette dernière de se prévaloir de la nullité de son engagement prévue par les dispositions du code de la consommation.

I – La protection de la caution par le formalisme de la mention manuscrite

L’article 2292 du Code civil dispose que : « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». D’aucuns comprendront l’importance des engagements pris en décidant de se porter caution. Il s’agit d’un acte grave de conséquences qui peut endetter voir ruiner parfois une situation personnelle. Garantir un tiers débiteur, accepter de se substituer à lui en cas de défaillance est donc une décision capitale qui ne doit pas être prise à la légère, pouvant avoir des conséquences dramatiques. C’est pour cette raison que la loi et les tribunaux cherchent à protéger la caution. Cette protection trouve son corollaire dans le formalisme auquel est soumise la mention manuscrite qui précède la signature de la caution. L’article 1526 du Code civil impose une mention manuscrite par la caution et le montant, en chiffres et en lettres, de la somme pour laquelle elle se porte garant. A défaut de ce formalisme, l’acte de caution irrégulier n’est pas nul mais sa valeur probante sera entachée et donc contestable. Il faudra dès lors pour le créancier établir des commencements de preuve par écrits émanant de la caution elle-même, et des éléments extrinsèques d’engagement de la caution en toute connaissance par des écrits, lettres, mails ou des témoignages. Compte tenu de l’importance d’un tel engagement, les Tribunaux partent du principe que le doute quant à l’étendue de l’engagement doit généralement profiter à la caution.

En effet, le litige autour de la mention obligatoire nourrit un contentieux quant au fait de savoir quelles irrégularités dans la reproduction de celle-ci entraînent la nullité de l’engagement de caution, à l’inverse sont sans incidences sur sa validité, ou, de façon intermédiaire, viennent en réduire la portée. C’est ainsi que les Tribunaux ont dû se prononcer sur la place de la mention manuscrite par rapport à la signature : A peine de nullité du cautionnement, la signature de la caution doit être apposée après la mention manuscrite du montant de l’engagement (Cass. com., 22 janvier 2013, pourvoi n°11-25377). Et encore, en cas de doute, le Tribunaux ont effectué des recherches sur la mention qui nécessite de se référer à l’acte pour en apprécier la durée (Cass. 1re civ., 9 juil. 2015, no14-24.287) ou l’identité du débiteur (Cass. com., 9 juil. 2019, no17-22.626). De surcroit, les Tribunaux ont eu à se prononcer sur la validité d’un acte de caution en vertu des erreurs commises lors de la retranscription de la mention et de leurs incidences: omission d’un mot « et » (Cass. com., 9 nov. 2004, no02-17.028)  ; ajout d’une virgule (Cass. com., 5 avr. 2011, no10-16.426)  ; ajout de mentions superfétatoires quant à l’identification du débiteur (Cass. com., 16 oct. 2012, no11-23.623 ) etc. La Cour de cassation a donc rappelé l’aspect automatique de la nullité encourue par l’acte de cautionnement illicite, sauf exception découlant de l’erreur matérielle liée à la reproduction exacte des dispositions du Code de la consommation (Com, 5 avril 2011 pourvois N°09-14358 et 10-16426). Enfin quant à la portée de l’engagement, la Cour de cassation a jugé que l’indication suivant laquelle la caution s’engage sur ses revenus au lieu de ses biens et revenus, n’entraîne qu’une réduction du gage du créancier, et non la nullité du cautionnement (Cass. com., 1er oct. 2013, no12-20.278), ou a estimé que la mention où le mot « intérêts » manque n’a pour conséquence qu’une réduction de l’étendue du cautionnement (Cass. com., 4 nov. 2014, no13-24.706).

Dans notre affaire, il s’agit du dirigeant-caution, qui en faisant rédiger la mention manuscrite précédant sa signature par sa secrétaire, au lieu d’y procéder lui-même, a commis une faute intentionnelle en détournant sciemment le formalisme de protection qui l’empêche par conséquent de soulever la nullité de son engagement.

II – Le formalisme protecteur entachée par la fraude intentionnelle de la caution

La Cour de cassation a déjà eu à s’interroger quant à la validité d’une mention manuscrite rédigée par un tiers et non par la caution elle-même. Sur ce point, la chambre commerciale a admis une telle possibilité lorsque la caution savait mal écrire (Cass. com., 20 sept. 2017, no12-18.364, Inédit) tandis que la première chambre civile avait estimé que lorsque la caution n’était pas en mesure d’apposer elle-même la mention manuscrite, il était nécessaire de recourir à une forme de contrat dispensant les parties de cette formalité (Cass. 1re civ., 9 juil. 2015, no14-21.763).

Dans la présente affaire, la caution n’était pas dans l’incapacité de rédiger elle-même la mention manuscrite, mais elle avait chargé un tiers, en l’espèce la secrétaire de la société dont elle était gérante, de procéder à sa reproduction. Elle soutenait ensuite que l’acte était nul, puisqu’elle n’avait pas rédigé elle-même la mention prescrite par la loi. En première instance, le tribunal de commerce d’Épinal avait déclaré le cautionnement nul, mais la cour d’appel de Nancy avait considéré que la cause de nullité procédait en réalité d’une « faute intentionnelle » de la caution (CA Nancy, 29 mai 2019, no18/00046). Les débiteurs se pourvurent donc en cassation au motif que les mentions manuscrites exigées par les articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de la consommation n’avaient pas été rédigées de la main de la caution, celle-ci ayant confié cette tâche à sa secrétaire. Mais l’argument est rejeté par la Cour de cassation qui se réfère expressément à l’adage fraus omnia corrumpit : 4. Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions. Il sera noté le raisonnement de la Cour dont la difficulté résidait dans la preuve de l’intention frauduleuse. Elle a estimé qu’« Ayant constaté, par motifs adoptés, que les signatures de M. [C] figurant sur l’acte de cautionnement et sur la fiche de renseignements étaient strictement identiques et que M. [C] ne pouvait donc alléguer n’avoir pas signé l’acte de cautionnement, puis relevé, par motifs propres, s’agissant des mentions manuscrites, qu’en dépit des précisions données dans l’acte, lequel comporte trois pages, toutes paraphées par le souscripteur, dont la dernière précise de manière très apparente et en caractères gras, que la signature de la caution doit être précédée de la mention manuscrite prévue par la loi, M. [C] a néanmoins « cru devoir faire » rédiger cette mention par sa secrétaire, au lieu d’y procéder lui-même, détournant ainsi sciemment le formalisme de protection dont il se prévaut désormais pour tenter de faire échec à la demande en paiement, la cour d’appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, a exactement déduit de la faute intentionnelle dont elle a ainsi retenu l’existence dans l’exercice de son pouvoir souverain, que la caution ne pouvait invoquer la nullité de son engagement » (pt 5).

Même si, comme indiqué précédemment, la loi et la jurisprudence montrent une certaine attention aux personnes qui se portent caution en leur octroyant de nombreuses protections, encore faut-il qu’elles s’en montrent dignes en ne les détournant pas. Aussi, la solution apportée par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 mai 2021 semble cohérente et parfaitement justifiée. Dès lors, s’il est établi que la caution a sciemment demandé à une autre personne de rédiger la mention dans le but de se prévaloir ensuite de la nullité de son engagement, l’existence de la fraude est alors bien avérée.

L’obligation de recopier à la main une mention d’information a été instaurée dans un but de protection de la caution afin qu’elle prenne conscience des termes de son engagement et qu’elle soit informée quant à la portée de celui-ci. En aucun cas, il ne peut être accepté que la caution cherche à en faire un levier lui permettant de se soustraire à ses obligations en contournant sciemment l’obligation de reproduire elle-même la mention prescrite. Si l’on se réfère à la jurisprudence antérieure, on peut relever que certaines cautions font preuve d’imagination, parfois débordante, pour tenter de se soustraire à leurs engagements. La portée de la solution rendue par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 mai 2021 est de ce fait susceptible d’être généralisée.

Sandra NICOLET