L’appréciation de la faute médicale, objet d’une jurisprudence florissante

Depuis la jurisprudence Mercier du 20 mai 1936, la Cour de cassation a admis l’existence d’un contrat entre le professionnel de santé et le patient, duquel découle une obligation de moyens de soigner, conformément aux données acquises de la science.

Désormais, avec l’application de la loi Kouchner du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et la qualité du système de santé, la responsabilité médicale dispose d’un régime autonome. Cette loi réaffirme expressément que les professionnels de santé ne voient leur responsabilité engagée qu’en cas de faute. Effectivement, l’article L1142-1 du Code de la santé publique, pris en son I. dispose que : « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. »

Ce régime de responsabilité ne distingue pas la nature contractuelle ou délictuelle de la faute. Il appartient au juriste d’établir l’existence d’une faute, appréciée in abstracto, eu égard à un praticien normalement diligent au regard des données médicales actuelles. Au vu de ce champ libre d’appréciation, la jurisprudence est abondante sur la qualification de cette faute et ne cesse de s’accroître.

Différents types de fautes avaient d’ores et déjà été soulevés par la Cour de cassation, telle que la faute de diagnostic notamment. Au sein de cet article, il sera toutefois fait référence à une distinction plus large, entre les fautes techniques et les fautes d’humanisme.

La faute technique a été définie par la Doctrine comme un manquement du professionnel de santé à son obligation de délivrer à son patient des soins conformes aux donnes acquises de la science. Cette faute peut intervenir à tout moment dans la prise en charge du patient, et non forcément lors du premier diagnostic.

A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a récemment écarté une faute issue du défaut de surveillance d’un patient atteint d’une pathologie psychiatrique (CE 5e et 6e chambres réunies, 29 septembre 2021, n°432627). Effectivement, l’analyse in abstracto de la faute a été réalisée par le Conseil d’Etat eu égard à l’organisation du service hospitalier, considérant que « le juge doit notamment tenir compte, lorsque l’état de santé de ce patient fait courir le risque qu’il commette un acte agressif à son égard ou à l’égard d’autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d’un tel passage à l’acte, mais également du régime d’hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait. » Or, sur ce point, le Conseil d’Etat a considéré que « l’établissement de santé mentale n’a pas commis de faute puisque l’état de santé du patient était stabilisé depuis deux mois et que ses permissions de sortie n’avaient donné lieu à aucun incident. » Force est de constater que le Conseil d’Etat s’adonne à une analyse in abstracto de la faute médicale en ce qu’elle examine le comportement du service hospitalier eu égard aux diligences normalement attendues.

A contrario, il a été jugé que « le fait pour une sage-femme, lors de l’accouchement de la patiente, de ne pas avoir appelé l’obstétricien de garde, en dépit d’anomalies constatées dans le rythme cardiaque fœtal puis de la durée excessive des efforts expulsifs, était constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. »

De toute évidence, l’analyse de la faute médicale technique peut revêtir autant de facettes qu’il y a d’appréciation d’un comportement diligent, considérant notamment les données acquises de la science au moment du dommage.

La faute d’humanisme est quant à elle, définie par la doctrine comme le manquement du professionnel de santé au devoir inhérent de son ministère, à la violation du respect de la personne humaine et de sa dignité, plus généralement donc à la violation du devoir de conscience.

Cela peut alors porter sur le manquement à l’obligation d’information ou encore le respect du secret médical. Sur ce dernier point, il apparait important de rappeler que la divulgation du dossier médical est conditionnée par l’accord de la patiente. Aussi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment retenu la méconnaissance du droit au secret médical et condamné un médecin-conseil ayant partagé le dossier médical de la patiente sans l’accord de celle-ci, au médecin Expert Judiciaire. (Cass. Crim, 16 mars 2021, n°20-80.125). A la lecture de cet arrêt, il convient d’être particulièrement vigilant lors de la transmission des pièces médicales d’un dossier, peu important si le destinataire est également soumis au secret professionnel.

Dans une autre mesure, la faute d’humanisme peut être étudiée dans le cadre de l’information des patients sur les risques encourus. Effectivement, l’obligation d’information est encadrée par l’article par L.1111-2 point IV alinéa 2 du Code de la santé publique qui dispose que : « En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ». Récemment, la Cour d’appel de Rennes en a fait une application précise en considérant que la fiche d’information remise au patient est un élément permettant d’attester du fait que le professionnel n’a pas manqué à son obligation si celle-ci expose de manière suffisamment détaillée et compréhensible les risques de toute opération chirurgicale (CA Rennes, 14 avril 2021, n°17/09146).

Au vu de ces éléments, force est de constater que la jurisprudence des différentes institutions judiciaires est florissante et exponentielle dans son appréciation de la faute médicale. Une telle analyse apparait néanmoins nécessaire en vue de l’appréciation des responsabilités en cause. Par ailleurs, une analyse in abstracto de la faute permet notamment une appréciation en corrélation avec les données acquises de la science qui, elles, sont également en perpétuelle évolution. Un Droit qui vit donc avec son temps.

Pauline Fonlupt