Le coup d’arrêt porté à la coopération publique / privé

Il existe un engouement indéniable pour les partenariats entre personne publique et personne privé. Cet engouement est notamment généré par l’intervention des pouvoirs législatif et exécutif qui multiplient les mesures facilitant ainsi le recours à une telle pratique.

Néanmoins, cette frénésie du partenariat vient de prendre un uppercut assassin en provenance directe de la Cour de justice de l’Union Européenne.

En effet, dans un arrêt du 19 juin 2014, la cour précise les conditions dans lesquelles une personne privée à but non lucratif peut être considérée comme un prestataire dit « in house » (CJUE, 19 juin 2014, Centro Hospitalar de Setubal, EPE, aff. C-574/12 ).

Non le « IN HOUSE » n’est pas un meuble suédois :

Il s’agit d’une exception prévue à la réglementation applicable en matière de marché public. En principe, une personne publique, appelée pouvoir adjudicateur, doit nécessairement passer par un marché public pour conclure un contrat de services, de fournitures ou de travaux à titre onéreux. Dans ce cadre, la loi lui impose de procéder à la mise en concurrence et à la publicité de l’offre. Des obligations très contraignantes notamment lorsque la personne publique à envie de conclure avec une personne particulière.

C’est pourquoi, la Cour de justice de l’Union Européenne a introduit l’exception « in house ». Plusieurs conditions doivent être remplies pour bénéficier de cette exception :

- Le pouvoir adjudicateur exerce conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale concernée, analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services.

- L’essentiel des activités de cette personne morale sont exercées dans le cadre de l’exécution des taches qui lui sont confiées par les pouvoirs adjudicateurs

- La personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée

Autrement dit, le pouvoir adjudicateur doit presque absorber entièrement la personne privée qui exploite l’activité.

Dès lors, si un hôpital public conclu un marché avec une association privé à but non lucratif afin de fournir des repas aux membres et patients de l’établissement, l’association ne devra être constituée que de membres « organismes de droit public » tels que définis par la directive 2014/24/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics.

Or, dans l’affaire précitée, l’association attributaire du marché était composée de 88 sociétaires parmi lesquels 23 institutions privées de solidarité sociale, toutes à but non lucratif, dont 20 institutions caritatives. La Cour considère que la condition de « contrôle analogue » n’est pas remplie par l’association. L’attribution du marché public ne peut être considérée comme une opération « in house ».

On aurait pu penser que le caractère non lucratif d’une structure privée puisse justifier l’application de l’exception « in house », mais il n’en est rien.

Pour qu’une association privée puisse être attributaire d’un marché et bénéficier de l’exception « in house », elle devra respecter les conditions prévues par la directive sur les marchés publics :

- Créée pour satisfaire spécifiquement les besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;

- Etre dotée de la personnalité juridique ;

- Etre financée majoritairement par l’Etat, les autorités régionales ou locales ou par d’autres organismes de droit publics, soi sa gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes, soit son organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié son désignés par l’Etat, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit publics ;

La majorité des associations privées à but non lucratif ne peuvent être qualifiées d’organisme de droit public au sens de la directive alors même qu’elles assurent un service d’intérêt général indispensable pour la société. De nombreux partenariats entre établissements publics et associations privées risquent donc d’être remis en cause par cette jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne.

Il en est de même pour les groupements entre établissements de santé qui peuvent regrouper des établissements publics et privés de santé. Si les établissements privés ne peuvent être qualifiés d’organisme de droit public, ils ne pourront profiter de l’exception « in house ». La coopération deviendrait alors beaucoup plus complexe entre ces établissements.

La directive envisage toutefois la possibilité pour une entité privée de bénéficier de l’exception « in house » alors même qu’un opérateur privé détient une participation directe dans le capital de la personne morale. Les conditions sont particulièrement restrictives :

- La participation d’opérateurs économiques privés est rendue obligatoire par une disposition législative - Cette participation ne donne pas une capacité de contrôle ou de blocage à l’opérateur privé

Les cas visés par une telle exception seront donc relativement rares.

La décision de la CJUE brutalise la coopération entre établissements de santé alors même que le projet de loi de santé portée par Marisol Touraine rend obligatoire l’adhésion aux Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT) et favorise la coopération avec les établissements privés. Un choix du gouvernement qui risque de ne pas plaire à la Cour de justice du Luxembourg.