Covid-19 : Admission de l'exception de force majeure du fait d’un bouleversement des conditions économiques antérieures ayant entrainé des pertes significatives

Dans son Ordonnance de Référé du 20 mai 2020, le Tribunal de commerce de PARIS a admis l'exception de force majeure et ordonné la suspension d'un contrat de cession annuelle d'électricité, soulignant l'importance de se doter d'outils contractuels adaptés pour gérer l'imprévu.

La notion de force majeure est un dispositif qui peut être invoqué par l’une des parties pour justifier l’inexécution de ses obligations ou la rupture du contrat. En droit français, la notion de force majeure est définie par le code civil à l’article 1218. Cet article prévoit qu’ « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». Il y a donc trois conditions qui sont retenues par le texte. Dans certains contrats, les parties ont choisi de contractualiser la force majeure. Dans cette hypothèse, la notion est à la fois définie dans le contrat ainsi que son régime, à savoir les conditions dans lesquelles sa notification doit intervenir, mais aussi les mécanismes qui peuvent en découler soit en termes de suspension, soit de renégociation, soit même de faculté de sortir du contrat.

L’Ordonnance de Référé du 20 mai 2020 a été une décision relativement commentée puisqu’elle est intervenue assez récemment. Dans cette décision, le Tribunal a été amené à apprécier l’application d’une clause de force majeure dans un contrat.

Cette décision était particulièrement attendue dès lors que si l’on se reporte à la jurisprudence antérieure, la notion de force majeure n’avait quasiment jamais été appliquée à des phénomènes de type pandémie ou épidémie. Une présentation de cette jurisprudence avait été réalisée dans notre premier article sur la notion de force majeure en droit français. Nous vous invitons à vous reporter à notre précèdent article publié dans Le H, l’hebdomadaire du Cabinet du 17 avril 2020 (COVID 19 : Un cas de force majeure ? Quel impact sur les contrats en cours ?), permettant de constater que la jurisprudence ne consacrait pas la notion de force majeure.

S’agissant de l’ordonnance de référé, qui nous intéresse aujourd’hui, celle-ci a été rendue dans un contexte de pandémie différent. Pour mémoire, dans notre précèdent article nous avions souligné qu’il n’était pas à exclure que les juges adoptent une position plus souple s’agissant du Covid-19 dès lors que la situation est bien différente. L’ampleur et la gravité du phénomène le démontrent. En effet, l’arrivée de la Covid 19 a conduit à la prise de mesures massives et contraignantes de la part du Gouvernement ayant rendu extrêmement difficile l’exécution d’un certain nombre de contrats. Le Tribunal de commerce qui s’est prononcé par une ordonnance de référé, a consacré dans une hypothèse de contrat d'accès régulé à l'électricité nucléaire la notion de force majeure en ce qu’il énonce que « la diffusion du virus revêt, à l’évidence, un caractère extérieur aux parties, qu’elle est irrésistible et qu’elle était imprévisible comme en témoignent la soudaineté et l’ampleur de son apparition ».

L'ordonnance de référé n'a certes pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, mais il n’en demeure pas moins que cette décision sera débattue dans les prochains contentieux. Les juges ont amplement discuté le critère de l’irrésistibilité puisque le contrat concernait notamment l’obligation de livraison d’électricité et l’obligation corrélative de payer.

De par cette décision le juge des référés nous invite particulièrement à bien regarder les clauses des contrats, et les circonstances de faits. C’est ainsi que le juge applique la clause contractuelle convenue entre les parties qui donne une définition spécifique de la force majeure, différente de celle du code civil. En effet, la force majeure telle que définie par le contrat en cause désignait « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Le Tribunal a ainsi relevé que le contrat qui lie les parties inclut l’exécution des obligations dans des conditions économiques raisonnables.

La clause de force majeure prévoyait que l’événement qui était le fait générateur rendait l’exécution des obligations des parties impossible dans des conditions économiques raisonnables. Le Tribunal a constaté que « la notion de conditions économiques raisonnables ne fait l’objet d’aucune définition. Son lien avec la survenance d’un événement de force majeure permet toutefois de supposer un bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l’exécution du contrat ». Si la clause prévoyait bien les trois caractéristiques habituelles de la force majeure (extériorité, irrésistibilité et imprévisibilité), elle se distinguait dans les conséquences que la survenance de l’événement produisait sur les obligations contractuelles. Ainsi, quand la force majeure retenue par le code civil (art. 1218) est celle dont les effets ne peuvent pas être évités et qui empêche l’exécution de l’obligation concernée, la force majeure visée dans le contrat en cause était celle qui « rendait impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables ». En introduisant la notion de « conditions économiques raisonnables », les parties avaient donné un champ d’application plus large à l’événement susceptible de suspendre le contrat, qui lie le juge dans son interprétation et le conduit à vérifier l’aspect économique de la situation.

A l’aune de cette décision, nous sommes désormais dans une situation où il sera intéressant de découvrir les prochaines constructions jurisprudentielles de la notion de force majeure qui va être appréciée tant au regard des clauses du contrat que du texte de la loi.

La notion de force majeure, généralement restrictive et difficilement applicable, peut être perçue comme ayant un effet d’opportunité. En effet, si l’on se réfère à la jurisprudence antérieure, la jurisprudence admet que celui qui est à l’origine de la rupture d’un contrat n’était pas fautif à arrêter ou réduire la relation commerciale si lui-même rencontre des circonstances économiques difficiles. C’est ainsi que suite à la crise économique de 2008, une telle hypothèse a été retenue dès lors que celui qui avait initié la rupture avait connu une diminution significative de son activité inhérente à un marché en crise.

On s’aperçoit qu’autour de la notion de force majeure gravitent des motifs légitimes à ne pas exécuter ses obligations dès lors que leur imputabilité est liée à un environnement sanitaire ou économique ayant un impact significatif sur les conditions d’exécution du contrat.

En définitive, cette ordonnance de référé rappelle aux rédacteurs de contrats, l’importance des clauses contractuelles et la liberté des parties dans leur rédaction tout en soulignant qu’il est indispensable de vérifier leur contenu, la définition des événements en cause, les conditions et modalités de mise en œuvre, les conséquences de leur application… Il est donc essentiel pour les parties de se doter d'outils contractuels adaptés pour gérer l'imprévu.