Le dénigrement : une pratique constitutive d’un abus de position dominante

Par un arrêt du 8 juin 2017, la Cour de cassation s’appuie sur le caractère objectif de la notion d’abus de position dominante pour préciser que le dénigrement peut constituer un tel abus indépendamment du bien-fondé des allégations diffusées. En effet, comme le rappelle la Cour, « l’abus de position dominante est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence ». Dans cette affaire, une société commercialisant des produits laitiers en Martinique avait procédé à des analyses de produits d’un de ses concurrents par un laboratoire. Elle l’avait par la suite accusé d’infraction à la réglementation sanitaire en vigueur et de tromperies envers les consommateurs, dans une lettre envoyée au syndicat national des fabricants de produits laitiers frais et à un autre de ses concurrents. L’information s’était ensuite propagée auprès des entreprises de la distribution alimentaire aux Antilles, conduisant à une exclusion des produits du concurrent des rayons des supermarchés. Après avoir validé l’analyse de la cour d’appel sur la position dominante occupée par l’entreprise laitière, la Cour de cassation a donc tenu à rappeler que le dénigrement figure parmi les actes répréhensibles dès lors qu’il est en lien avec la position dominante de son auteur et qu’il consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié (Cour de cassation, Chambre commerciale, 08 juin 2017, 15-26151). Cet arrêt conforte une précédente décision de la Cour de cassation dans laquelle il a été jugé que le fait pour une entreprise en état de position dominante sur un marché d’entraver l'entrée de ses concurrents sur ce marché en dénigrant leurs produits auprès des professionnels constitue un dénigrement relevant d’un abus de position dominante. Dans cette affaire, il a été considéré que la stratégie commerciale d'une société pharmaceutique commercialisant un médicament ainsi que son générique, consistant à mettre en œuvre pendant plusieurs mois une méthode de communication à destination des professionnels de santé par des argumentaires, en partie mensongers, distribués aux visiteurs médicaux et délégués pharmaceutiques de la société, dont le seul objectif était de les influencer afin d'enrayer le mécanisme de la libre concurrence sur le marché des génériques, stratégie ayant effectivement eu pour effet de limiter l'entrée de ses concurrents sur ce marché, constitue une pratique de dénigrement en même temps qu’un abus de position dominante (Cass. Com. 18 oct. 2016, n°15-10.384) Et encore, dans un arrêt rendu le 11 janvier 2017, la Cour de cassation a sanctionné des pratiques de dénigrement consistant en une communication de nature à induire un doute ou une prévention non justifiée contre le médicament générique, chez les professionnels de santé, et des remises fidélisantes destinées à provoquer, grâce à des rabais de fidélité, sans contrepartie économiquement justifiée, la constitution de stocks importants du médicament princeps dans les pharmacies afin de saturer les linéaires des pharmaciens et ainsi de dissuader ces derniers de substituer le générique à ce dernier (Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-17.134).

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur. Il sera noté que les dispositions de droit interne et communautaire prohibant l’abus de position dominante sont rédigées en termes généraux en sorte que toute pratique, telle que le dénigrement de concurrents actuels ou potentiels, est susceptible de constituer un abus prohibé par ces textes dès lors qu'elle a pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la libre concurrence ou qu'elle est susceptible d'affecter le commerce entre États membres de l'Union européenne.