Le droit de se taire au cours des débats sur la détention provisoire

Le droit, pour toute personne mise en cause dans le cadre d’une affaire pénale, de se taire et ainsi ne pas contribuer à sa propre incrimination fait l’objet d’une protection accrue.

Au niveau européen, ce dernier droit fait effectivement partie intégrante de la Convention européenne des droits de l’homme, en son article 6. En droit interne, la loi du 27 mai 2014 est venue généraliser la portée du droit au silence au sein de la procédure pénale. Celui-ci est prévu à différentes stades de la procédure : pour le suspect gardé à vue (article 63-1 Code de Procédure Pénale) ; celui entendu librement (art. 61-1 CPP) ; lors de la mise en examen devant le Juge d’Instruction (art. 116 CPP) ; lors du placement sous le statut de témoin assisté (art.113-4) ainsi que devant l’ensemble des juridictions de jugement contraventionnelles (art.535 CPP) ; délictuelle (art. 406 CPP) ou criminelle (art. 328 CPP).

La question de l’étendue de ce droit a été posée au Conseil constitutionnel, qui a été saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité le 04 décembre 2020. En effet, celui-ci a été interrogé par une question portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, de l’article 396 du Code de procédure pénale.

Celui-ci prévoit notamment que « Dans le cas prévu par l'article précédent, si la réunion du tribunal est impossible le jour même et si les éléments de l'espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention, statuant en chambre du conseil avec l'assistance d'un greffier. Le juge, après avoir fait procéder, sauf si elles ont déjà été effectuées, aux vérifications prévues par le huitième alinéa de l'article 41, statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de détention provisoire, après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat ; l'ordonnance rendue n'est pas susceptible d'appel.

Il peut placer le prévenu en détention provisoire jusqu'à sa comparution devant le tribunal. […] »

Le requérant reprochait à ces dispositions de méconnaître le principe de présomption d’innocence, dont découle le droit de se taire, dans la mesure où il n’est pas prévu que le Juge des Libertés et de la Détention, saisi aux fins de placement en détention provision dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, doit notifier au prévenu qui comparaît devant lui son droit de garder le silence. Cela se justifierait pourtant car qu’il incombe tout d’abord au juge de vérifier s’il existe des charges suffisantes mais également par le fait que le prévenu pourrait être amené à faire des déclarations, consignées dans le procès-verbal de comparution, pouvant être porté à la connaissance du Tribunal lors de l’audience.

En matière de contentieux de la détention provisoire, dans la situation sus évoquée ou devant la chambre de l’instruction, la Cour de cassation avait jusqu’à lors affirmé qu’aucune disposition légale ou conventionnelle n’imposait la notification du droit au silence. Cela était justifié par le fait que l’audition du prévenu avait pour objet non pas d’apprécier la nature des indices pesant sur elle, mais simplement l’examen d’un placement / maintien en détention provisoire.

Cette position avait quelque peu évoluée, la Cour de cassation consacrant désormais que la Chambre de l’instruction doit s’assurer, à chaque étape de la procédure pénale, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant l’existence d’indices graves ou concordants dans la participation de l’auteur à l’infraction (Crim. 27 janvier 2021, n°20-85.990). Continuant sur cette lancée, la Cour de cassation a – encore plus récemment – consacré que « le droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire doit être porté à la connaissance de la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction saisie du contentieux d'une mesure de sûreté. » (Crim. 24 février 2021, n°20-86.537).

C’est dans ce contexte que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur la conformité de l’article 396 du Code de procédure pénale. Il a notamment rappelé que :

- Le Juge des Libertés et de la détention ne peut se prononcer sur la justification d’un placement en détention que par une ordonnance motivée le conduisant nécessairement à porter une appréciation des faits retenus à titre de charge ;

- Lorsqu’il y est invité, le prévenu peut présenter des observations sur les faits. Ces observations sont susceptibles d’être portées à la connaissance du Tribunal lorsqu’elles sont consignées dans l’ordonnance du JLD

Au regard de ces éléments, envisagés dans le prisme de l’incidence des déclarations du prévenu sur la suite de la procédure, le Conseil a déduit que « en ne prévoyant pas que le prévenu traduit devant le Juge des libertés et de la détention doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit. »

Par conséquent, faute d’information du prévenu sur son droit de se taire, le Conseil constitutionnel juge contraires à la Constitution les dispositions concernant la procédure de présentation devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d’une comparution immédiate.

Il s’agit une nouvelle fois d’une avancée dans les droits de la défense. Ainsi, en l’absence d’information de ces droits, les déclarations du prévenu ne pourront être utilisées à son encontre par la juridiction de jugement. Il faut y voir ici, avec enthousiasme, une nouvelle consécration des droits et libertés garanties par la Convention européenne des droits de l’homme.

Pauline FONLUPT