Rémunération des dirigeants : quand l’intérêt social de la société est menacé

S’il peut paraître superflu de rappeler que le droit de vote accordé aux associés ne peut s’exercer de façon entièrement discrétionnaire mais doit constituer un outil de préservation de l’intérêt social de la société, il convient de rappeler que l’abus de majorité constitue encore la principale source d’annulation des délibérations d’assemblée.

En effet, depuis une décision de principe rendue par la Haute Cour le 18 avril 1961 (n°59-11.394), la jurisprudence fait état de nombreuses décisions annulant les délibérations d’assemblées prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité. La Cour de Cassation revient sur la protection de l’intérêt social dans un arrêt d’importance daté de 13 janvier dernier.

Les faits sont les suivants :

Un gérant majoritaire ainsi que sa compagne, associée minoritaire, concèdent une promesse de vente de l’intégarlité des parts de leur société à un tiers pour un montant de 8.000€ correspondant au montant nominal du capital social. Postérieurement à cette promesse, une assemblée générale accorde à l’unanimité l’attribution au profit de l’associé majoritaire, et cédant, d’une prime d’un montant de 83.000€, représentant treize fois le résultat annuel de la société. Une nouvelle assemblée viendra accorder une prime complémentaire d’un montant de 3.049,94€ au titre de rappels de salaires.

La promesse de vente est par la suite réitérée par acte sous seing privé. Le nouveau dirigeant de la société refuse alors de verser les sommes dues au cédant au motif pris que les primes allouées constituaient des actes anormaux de gestion mettant en péril les intérêts de la société. Alors que l’ancien dirigeant lésé avait assigné en paiement la société cédée, son nouveau dirigeant est intervenu volontairement à l’instance, faisant valoir que les délibérations prises par l’assemblée générale étaient constitutives d’un abus de majorité.

La Cour d’appel a fait droit aux demandes du nouveau dirigeant et prononcé la nullité des délibérations en cause constatant que ces dernières avaient pour effet d’octroyer au dirigeant de la société, dans le court intervalle séparant l’engagement de cession des titres et sa réalisation, des primes exceptionnelles représentant treize fois le résultat annuel de la société, et considérant que lesdites primes accordées constituaient des primes manifestement excessives et contraires à l’intérêt social. La Cour ne se prononçait alors pas sur les conditions d’application de l’abus de majorité.

La Cour de Cassation s’est emparée de ce motif pour préciser les conditions.

L’occasion pour elle de rappeler qu’au regard des dispositions de l’article L 235-1 du Code de Commerce (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019) les délibérations d’associés octroyant une rémunération exceptionnelle à un dirigeant ne sont susceptibles d’annulation qu’en deux hypothèses : soit que les dispositions du livre II du Code de Commerce ait été violées, soit que les lois qui régissent les contrats l’aient été.

Elle rappelle ainsi que le seul fait pour une délibération d’être contraire à l’intérêt social ne peut justifier l’annulation de telles décisions, sauf à démontrer que celles-ci auraient résulté d’une fraude ou d’un abus de droit commis par un ou plusieurs associés aux détriment de ceux des autres associés. Quant à l’abus de majorité, il importe de rappeler que celui-ci suppose une décision non seulement contraire à l'intérêt social mais aussi prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés.

Or dans le cas présent, la Cour de Cassation constate qu’outre le montant excessif de la rémunération accordée, aucun autre élément n’état de nature à justifier l’annulation des décisions prises par l’assemblée. Il en ressort qu’une décision accordant une rémunération manifestement excessive à un dirigeant ne peut être annulée sur le seul motif de la contrariété à l’intérêt social et que les représentants de la société lésés devront apporter une vigilance particulière à caractériser une violation des dispositions légales s’imposant aux société commerciales et aux contrats ou d’un abus de droit commis par l’un de associé voire l’existence d’une fraude Reste qu’au-delà la demande d’annulation de la délibération, il est d’usage que les acquéreurs bénéficient à l’occasion du rachat de titres d’une clause de garantie de passif destinée à mettre à charge du cédant tout ou partie des dettes de la société qui prendraient racine antérieurement à la date de cession déterminée. Si elle ne semble pas avoir été mise en œuvre dans le cas évoqué précédemment, il est opportun pour les cessionnaires de porter attention à l’existence d’une telle clause au contrat.

Plus encore, rappelons également que les décisions accordant une rémunération excessive au dirigent d’une société sont également susceptible d’engager leur responsabilité personnelle comme constitutive d’une faute de gestion, voir de justifier des poursuites pénales à l’égard du dirigeant pour abus de bien sociaux.

Ainsi, bien que la Cour de Cassation considère que la seule contrariété à l’intérêt social de la société ne peut à elle seule justifier l’annulation d’une décision, il n’en demeure pas moins que la rémunération du dirigeant demeure un élément strictement encadré et dont le montant ne peut être soumis à l’appréciation discrétionnaire de son bénéficiaire.

Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 13 janvier 2021, 18-21.860,

Elise PERONO