Le pouvoir du CSE contre une décision de l’Autorité de la concurrence autorisant une opération de concentration

Le Comité social et économique d’une société peut-il agir contre une décision de l’Autorité de concurrence autorisant une opération de concentration ? C’est une question inédite à laquelle le Conseil d’Etat s’est attaché à répondre dans une décision rendue le 9 mars dernier et destinée à la plus large publication. Dans les faits, le 18 février 2019, la société REWORLD MEDIA, actuel leader des groupes médiatiques français, formulait une offre de prise de contrôle exclusif sur la société MONDADORI MAGAZINES France. Cette opération était approuvée le 24 juillet suivant par l’Autorité de la Concurrence. Pour autant le CSE de l’Unité Sociale et Economique de la société MONDADORI MAGAZINES France formait devant le Juge administratif un recours en excès de pouvoir à l’encontre de cette décision et sollicitait son annulation.

1/ Sur l’intérêt à agir du CSE

La première interrogation soulevée dans cette affaire, essentielle s’il en est, est celle de l’intérêt à agir du CSE à l’encontre d’une décision de l’Autorité de la concurrence. En effet, la question de l’intérêt du CSE n’avait jusque là jamais été tranchée en ce qui concerne la contestation d’une décision du Gendarme de la Concurrence. Si le CSE est par principe doté de la personnalité civile lui permettant d’agir en justice conformément aux dispositions de l’article L2315-23 du Code du Travail, encore faut-il que celui-ci soit en mesure de justifier d’un préjudice causé par l’opération en cause et ce au regard de la mission qui lui incombe. A ce titre les courants jurisprudentiels adoptés par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat s’opposent, et si la première n’admet que son action dans le cadre d’un intérêt direct et personnel, le second adopte une interpération moins restrictive. Le Conseil d’Etat admet en effet généralement l’intérêt à agir du CSE non pour son compte personnel uniquement mais également lorsqu’une décision est susceptible d’affecter ou de menacer les conditions de l’emploi au sein de l’entreprise. Rappelons que les missions du CSE sont prévues à l’article L2312-8 du Code du Travail en ces termes : « Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur: (…) 2° La modification de son organisation économique ou juridique (…) » C’est sur le fondement de sa jurisprudence, déjà constante, que le Conseil d’Etat admet l’intérêt à agir du CSE caractérisé non par sa seule nature mais par les missions qui lui sont confiées et au regard du risque que pourrait révéler l’opération en cause pour l’emploi des salariés.

Ainsi, le Conseil d’Etat choisit d’étendre un peu plus encore le pouvoir d’action des instances représentatives du personnel, retenant que son intérêt à agir relevait objectivement de la nature de ses missions, l’opération de concentration envisagée étant nécessairement de nature à affecter les conditions de l’emploi. Pour autant, si cette décision constitue un apport essentiel, le Conseil d’Etat n’omet pas d’analyser les motifs du recours formé par le CSE.

2/ Sur l’action du CSE

En effet, si le CSE a bien un intérêt à agir à l’encontre de la décision de l’Autorité de la Concurrence il apparait que le fondement de son action était en l’état critiquable. Ce dernier reprochait en effet à la décision de l’ Autorité de la Concurrence de méconnaître les dispositions relatives à la consultation préalable du CSE dans le cadre de l’opération envisagée. Le Conseil d’Etat a ainsi en tout premier lieu relevé que l’opération de concentration envisagée avait fait l’objet en temps utile d’une publication sur le site de l’Autorité de la Concurrence et de plusieurs tests de marchés, respectant ainsi les droits de la défense. Par ailleurs le Conseil d’Etat constate qu’aux termes de l’article L2312-41 du Code du Travail il revient à l’employeur de réunir le CSE au plus tard dans un délai de trois jours à compter de la publication du communiqué relatif à la notification du projet de concentration. Egalement, il est rappelé qu’un Jugement intervenu avait enjoint sous astreinte à la société MONDADORI MAGAZINES France de consulter le CSE avant toute saisine des autorités chargées du contrôle du respect des règles de concurrence. Le Conseil d’Etat a ainsi relevé que cette obligation n’était en rien imposée à l’Autorité de la Concurrence. Enfin, l’un des argument du CSE consistait à soulever que l’autorisation délivrée par le Gendarme de la Concurrence aurait eu nécessairement « par elle-même » pour effet de conduire à la méconnaissance des dispositions relatives à sa consultation préalable. La juridiction a toutefois rappelé que les missions dévolues à l’Autorité de la Concurrence sont strictement définies par les dispositions du Code de Commerce et que cette dernière, en tant que juridiction d’exception, n’avait alors pas vocation à outrepasser les missions qui lui étaient attribuées. Le Conseil d’Etat constate ainsi qu’ : « aucune disposition du Code du travail ou du Code de commerce n'impose à l'Autorité de la concurrence de s'assurer, préalablement à l'édiction de sa décision, que les dispositions relatives à l'information et à la consultation du comité social et économique ont été respectées par l'entreprise concernée » Ainsi, le Conseil recentre l’activité de l’Autorité sur les seules missions relevant du stricte contrôle des activités concurrentielles. D’autre part les décisions de l’Autorité de la Concurrence n’ont pas vocation à influer directement sur l’emploi des salariés, le sort réservé à ces derniers ne dépendant que les parties à l’opération de concentration envisagée. L’action du CSE était donc nécessairement en ce sens mal fondée.

Relevons en effet que les dispositions du Code de Commerce offrent la possibilité pour le Ministre de l’Economie de solliciter un examen approfondi d’une opération ou de statuer lui-même sur une opération au regard de motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence et notamment le maintien de l’emploi. Dans le cas présent, un intervention auprès du Ministre aurait pu s’avérer plus opportune.

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-03-09/433214

Elise PERONO