Présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier…. «//dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire//»

https://www.courdecassation.fr/decision/63e34cc2500dc805de37cd91

Il sera rappelé que le régime de la déclaration de créance comportait, notamment, deux pièges pour les créanciers d’une entreprise en difficulté. Ces pièges ont pu être atténués suite à la ratification de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.

Les problématiques auxquelles étaient confrontées les créanciers, portaient sur l’irrégularité pour défaut de pouvoir de son auteur et la forclusion pour dépassement du délai de déclaration.

Afin de remédier au premier problème, a été instaurée la possibilité pour le créancier de ratifier, jusqu’à ce qu’il soit statué sur son admission au passif, la déclaration réalisée en son nom par une personne dépourvue du pouvoir d’y procéder (C. com., art. L. 622-24, al. 2). Quant au problème de la forclusion, celui-ci est combattu à travers une présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier lorsque sa créance a été portée à la connaissance du mandataire judiciaire (ibid., al. 3).

Cela étant, en raison de la rédaction des textes et de leur difficile coordination, s’était rapidement posée la question de savoir quelles mentions étaient suffisantes pour permettre le jeu de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier.

Dans le cadre de l’arrêt commenté, des précisions viennent d’être apportées par la Haute Juridiction.

1.

Par jugement du 28 mars 2017, GAEC a été mis en sauvagarde. Ledit jugement a été publié au Bodacc le 12 avril suivant. Conformément à l'article L. 622-6 du Code de commerce, le débiteur a remis au mandataire judiciaire, dans le délai imparti, la liste de ses créanciers, sur laquelle figurait une coopérative.

La créance de cette dernière a été contestée par le GAEC, qui a fait valoir que « le seul fait que ce créancier apparaisse sur la liste des créanciers ne valait pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, au sens de l'alinéa 3, de l'article L. 622-24 du Code de commerce ».

Pour mémoire, cet article précise que « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa » (C. com., art. L. 622-24 al. 3, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2014).

C’est dans ces conditions que la cour d’appel de Dijon (CA Dijon, 10 juin 2021, n° 19/00841) a retenu que la coopérative ne rapportait pas la preuve de la réception de sa déclaration de créance par le mandataire judiciaire et que la liste des créanciers remise à ce mandataire par le GAEC ne valait pas déclaration de créance faite pour son compte par le débiteur.

En outre, elle a également rejeté sa demande d'admission de créance aux motifs que cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté.

La société Coopérative Bourgogne, société civile agricole, forme donc un pourvoi en cassation.

2.

Selon la Cour, il résulte de l’article L. 622-24 susmentionné que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai de deux mois fixé à l'article R. 622-24 du Code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l’information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur.

La Haute juridiction casse et annule en conséquence pour violation de la loi l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon.

La Cour d’appel a constaté que la liste des créanciers remise par le débiteur à son mandataire judiciaire comporte, dans la colonne des créanciers fournisseurs, la mention de la coopérative, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir de 422 493 euros. Dès lors, pour la cour d’appel cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cependant qu'il n'est pas établi que le débiteur aurait fourni d'autres informations au mandataire judiciaire. Ainsi, pour les juges dijonnais cette déclaration faite par le GAEC ne peut valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel : «en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la liste des créanciers remise par le GAEC à son mandataire judiciaire comportait le nom de la coopérative créancière ainsi que le montant de la créance de cette dernière, ce qui valait déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations».

En somme, pour la Cour de cassation, les mentions de l’identité du créancier et du montant de la créance sont suffisantes pour permettre le jeu de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier.

3.

Cet arrêt pourrait être rapproché d’un précédent arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 5 septembre 2018 (Cass. com., 5 sept. 2018, n° 17-18.516), dans le cadre duquel elle avait jugé que la présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier ne vaut que dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire. La mention de l'identité du créancier en l'absence de mention du montant dû ne pouvait valoir déclaration.

Par conséquent, l’arrêt du 8 février 2023 permet d’apporter des précisions sur le minimum d’informations à fournir par le débiteur pour que la présomption joue : nom de la société créancière et montant de la créance.

En définitive, la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte de son titulaire joue dès lors que l’information transmise au mandataire judiciaire fait apparaître le nom du créancier et le montant de sa créance, mais ne vaut déclaration qu’à raison du contenu de cette information.

Sandra NICOLET