COVID 19 : un cas de force majeure ? Quel impact sur les contrats en cours ?

L’Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises. Cette déclaration de Monsieur le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Lemaire, lors de son discours du 28 février dernier à l’occasion d’une réunion avec les partenaires sociaux n’est pas passée inaperçue. Toutefois, indépendamment des déclarations du ministre de l’économie, le coronavirus est-il susceptible de constituer un cas de force majeure entraînant la suspension de l’exécution des contrats en cours ? Le coronavirus peut-il être une cause de cessation des contrats ?

Quelle est la définition de la force majeure selon notre code civil ?

Il convient tout d’abord de regarder la définition de la force majeure en droit français. Avant l’ordonnance de réforme du droit des obligations, la force majeure se définissait, au grès des mouvements jurisprudentiels, comme un événement irrésistible, imprévisible au moment de la conclusion du contrat et extérieur au débiteur de l’obligation.

Mais depuis, 2016, en vertu de l’article 1218 alinéa 1er du code civil, la force majeure a été définie ainsi : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. ».

Selon l’on reprend les termes de cette article, la force majeure suppose donc de caractériser les éléments cumulatifs suivants : - un événement échappant au contrôle du débiteur, - qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat, - dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. - qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Ceci rappelé, le Covid-19 entre-t-il dans la qualification de force majeure ? Pour répondre à cette interrogation, il convient de se référer à la jurisprudence existante en matière de maladie et d’épidémies

Le Covid-19 entre-t-il dans la qualification de force majeure ?

Si l’on se réfère à la jurisprudence existante en matière de maladie et d’épidémies, celle-ci va plutôt en sens inverse. En effet, au regard de la définition de la force majeure, la seule existence d’une épidémie ou d’un virus ne suffit pas à qualifier un cas de force majeure. Tous les éléments constitutifs doivent être caractérisés :

• CA Paris, 17 mars 2016, RG 15/04263 : dans cet arrêt la Cour a retenu qu’une épidémie générée par le virus Ebola ne constituait pas un cas de force majeure car aucun lien de causalité n’était caractérisé entre le virus et la baisse d’activité d’une société.

• CAA Douai, n°15DA01345, 28 janvier 2016 : La Cour a adopté une solution identique lorsque le débiteur n’avait pu démontrer en quoi l’épidémie de CHIKUNGUNYA sur l’Ile de la Réunion avait été de nature à faire obstacle à ce qu’il puisse donner son appartement à bail dans le délai de six mois accordé afin de bénéficier d’une exonération fiscale.

• CA Paris, 29 mars 2016, RG 15/05607 : dans cet arrêt, les juges ont également écarté la force majeure lorsque le virus Ebola n’avait pas rendu l’exécution des obligations impossibles.

• CA Nancy, 22 novembre 2010, RG 09/00003 : S’agissant de l’appréciation du critère d’imprévisibilité au jour de la conclusion du contrat. La force majeure a également été écartée en présence de l’épidémie de dengue, les juges ayant retenu qu’elle était récurrente et donc prévisible.

• CA Besançon, 8 janvier 2014, RG 12/02291 : La solution susmentionnée a été aussi retenue s’agissant du virus H1N1 qui avait été largement annoncé avant même l’adoption de règles sanitaires.

• CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, RG 17/00739 : S’agissant de l’appréciation du critère irrésistible de la force majeure, la Cour d’appel de Basse-Terre, à propos du virus CHIKUNGUNYA, a souligné qu’ « en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue, etc.) et de sa prévalence dans l’arc antillais et singulièrement sur l’île de Saint-Barthélemy courant 2013-2014, cet événement ne comporte pas les caractères de la force majeure au sens des dispositions de l’article 1148 du code civil [ancien]. En effet, cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n’ayant pas fait état d’une fragilité médicale particulière) et que l’hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période ».

Il semble résulter de cet arrêt 17 décembre 2018 que, dès lors qu’un virus est connu, endémique et non létale, la force majeure n’aurait pas vocation à s’appliquer. Dans le contexte de la présente crise sanitaire, une lecture a contrario de cette solution semble indiquer que l’absence de traitement pour le coronavirus à l’heure actuelle et sa létalité pourrait permettre de retenir le caractère irrésistible. Cette qualification serait, toutefois, susceptible d’être remise en cause une fois un traitement avéré et efficace connu.

Pour l’heure, il n’existe aucun traitement (y compris naturel) ayant fait la preuve de son efficacité contre le COVID-19. La prise en charge est donc symptomatique, c’est-à-dire qu’elle est destinée à diminuer les symptômes mais sans pouvoir soigner la maladie à proprement parler.

Il peut en être conclu que la jurisprudence a tendance à apprécier strictement les événements susceptibles de constituer un cas de force majeure. Dans ce contexte, les parties auront tout intérêt à aménager la définition de la force majeure dans leur contrat, en précisant ce qui sera expressément considéré ou non comme un cas de force majeure, ainsi que les effets de celle-ci.

En conséquence, il semble donc qu’une épidémie n’est pas nécessairement ni automatiquement un cas de force majeure. Dans notre cas, la qualification de l’épidémie (voire de la pandémie) de Covid-19 n’aura pas de caractère automatique. Une appréciation au cas par cas en fonction des circonstances de l’espèce devra être effectuée.

A notre sens, il se pourrait que les juges adoptent une position plus souple s’agissant du Covid-19 dès lors que la situation est bien différente. L’ampleur et la gravité du phénomène le démontrent.

En effet, le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que le Covid-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale.

En outre, de nombreuses inconnues demeurent, ce qui pousse les autorités nationales et les organisations internationales à la plus grande prudence.

Et encore, des mesures sans précédent sont prises par les pouvoirs publics en France, et la vitesse d’enchaînement des textes réglementaires et bientôt légaux démontre clairement le caractère inédit et dramatique de la situation.

De plus, les pouvoirs publics ont pris des décisions qui sont venues limiter et interdire les rassemblements et déplacements de personnes. Ces mesures pourraient être analysées comme des circonstances de force majeure constituant un obstacle insurmontable à l’exécution d’obligations conventionnelles.

Il sera néanmoins évoqué l’arrêt de la Cour d'appel de Colmar du 12 Mars 2020, n° 20/01098. Saisie à propos de la rétention administrative d’une personne en contact avec des personnels susceptibles d’être infectées par le virus Covid-19, la Cour a relevé que « ces circonstances exceptionnelles, entraînant l'absence de M. Victor G. à l'audience de ce jour revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles vu le délai imposé pour statuer et le fait que, dans ce délai, il ne sera pas possible de s'assurer de l'absence de risque de contagion et de disposer d'une escorte autorisée à conduire M. G. à l'audience ».

Cette affaire ne s’inscrit pas dans un contexte contractuel, mais elle permet d’appréhender le raisonnement que la Cour peut adopter en matière de Covid-19. Cette décision doit néanmoins être entendue de manière restrictive, dans la mesure où elle est contrainte par le délai imposé pour statuer à la Cour en l’espèce. En conséquence, elle ne marque pas, à proprement parlé, du sceau de la force majeure l’épidémie du COVID-19.

Toutefois, si le Covid-19 était qualifié de cas de force majeure, il convient de s’intéresser aux effets de la force majeure sur les relations contractuelles ?

Quels seraient les effets de la force majeure sur les relations contractuelles

Il est certain que si le Covid-19 constitue une situation aux effets juridiques inédits, il faut aborder les conséquences de ce phénomène avec prudence.

En effet, même si l’on considère que le phénomène covid-19 et/ou les décisions des autorités constituent des cas de force majeure, leurs effets peuvent être écartés dans le contrat.

En application du principe général de liberté contractuelle, les parties peuvent parfaitement décider que, même dans l’hypothèse de la survenance d’un cas de force majeure, les stipulations contractuelles doivent s’appliquer et notamment les frais et pénalités liées au dédit d’une partie.

Or, il n’est pas rare que les exclusions prévues au titre de la force majeure intègrent le risque sanitaire ou les décisions prises par les autorités publiques.

Il est donc très important, avant d’agir, de bien se reporter aux clauses du contrat en cause et aux éventuelles conditions générales de vente ou d’achat.

Il sera en outre rappelé que la force majeure, par principe, suspend l’exécution du contrat mais ne fait pas disparaître définitivement l’obligation de l’exécuter.

En ce sens, il résulte de l’article 1218 alinéa 2 du code civil que : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. ».

Plus précisément, en présence d’un empêchement définitif, le contrat est résolu de plein droit, tandis qu’il est suspendu en cas d’empêchement temporaire. La durée de suspension de l’exécution dépend de la durée de l’événement constituant un cas de force majeure. L’exécution reprendra alors dès la fin de l’empêchement.

Par exception, le retard causé par la suspension de l’exécution du contrat peut mettre fin au contrat. En application de l’article 1224 du code civil, le retard devra être suffisamment grave pour justifier la cessation du contrat. Il conviendra également de veiller aux effets de la fin du contrat (résiliation ou résolution).

S’agissant du coronavirus, il conviendra d’attendre qu’une décision actant de la fin de l’épidémie intervienne. Mais il se posera aussi la question de savoir de quelle autorité la décision doit émaner pour produire des effets sur les contrats suspendus pourraient.

En conclusion, les règles du code civil donnent des moyens tels la force majeure (art.1218 du code civil), l’imprévision (art. 1195), la bonne foi et/ou la loyauté (art.1104), l’économie du contrat et l’équilibre des obligations contractuelles (art.1171), l’exception d’inexécution (art.1219) ou encore l’exception pour risque d’inexécution (art. 1220).

Ces moyens sont aujourd’hui complétés par les nouveaux textes législatifs et règlementaires en vigueur depuis ces derniers jours de mars 2020.

Ainsi, selon l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (publié au JO du 24 mars), le gouvernement est notamment autorisé à prendre par ordonnances, avant le 24 juin 2020, certaines mesures, relevant du domaine de la loi.

C’est ainsi que face au coronavirus, la prudence du cocontractant lui impose de bien analyser sa situation propre et son contrat, avant d’invoquer la force majeure.