Préjudice moral, écologique et responsabilité de l'Etat pour manquement dans la lutte contre le réchauffement climatique : une affaire historique ?

Une décision particulièrement attendue a été rendue ce 03 février 2021 par le tribunal administratif de Paris dans le grand procès climatique français.

Si bon nombre d’auteurs revendiquent ce jugement comme étant un « jugement historique » qui « condamne l'État pour inaction climatique », la lecture du jugement amène à une certaine prudence.

Sur la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat :

Une victoire inédite pour les associations dont l’action en réparation du préjudice écologique, prévue par les articles. 1246 et suivants du code de l'environnement, a été jugée recevable. Il est intéressant de relever qu’un tel préjudice écologique était initialement reconnu qu'en raison d'atteinte à des intérêts matrimoniaux ou extra-patrimoniaux. Or, en l'espèce, le Tribunal estime qu'un tel préjudice écologique porte atteinte à un intérêt collectif et qu’il résulte directement du non-respect de l'Etat de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effets notamment prévu par l'accord de Paris, des directives de l'Union européenne ou encore de l'article L.100-4 du code de l'énergie.

La reconnaissance d'une carence fautive de l'Etat en matière de pollution atmosphérique n'est certes pas nouvelle, mais il s'agit d'une première quant au lien de causalité entre ces manquements et le préjudice invoqué : « en l’espèce, l’État français, informé et conscient de l’insuffisance des mesures qu’il a adoptées pour atteindre ses objectifs climatiques, a commis des manquements dans la mise en œuvre de ses obligations, fautes qui contribuent directement à l’impossibilité d’enrayer le changement climatique et à son aggravation ; par conséquent, ses fautes et carences sont à l’origine directe de l’aggravation du dommage environnemental lié au changement climatique, dommage à l’origine directe des préjudices invoqués ; » Le Tribunal en conclut que le lien de causalité entre ces fautes et l’aggravation du changement climatique est établi.

Sur le montant et les modalités de réparation du préjudice :

S’agissant de la réparation du préjudice écologique, elle se fait en priorité par nature et conformément à l’article 1249 du code civil. Des dommages et intérêts ne sont prononcés qu'en cas d'impossibilité ou d'insuffisance des mesures que l'Etat peut prendre pour remédier à la situation. En l’espèce, le Tribunal a retenu que les associations requérantes ne démontrent pas que l’État serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique dont le présent jugement le reconnaît responsable, d’autre part, la demande de versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique est sans lien avec l’importance de celui-ci. Raison pour laquelle, le Tribunal administratif rejette la demande de condamnation pour 1 € symbolique. Néanmoins, sur le fondement de l'article L.911-1 du code de justice administrative, la juridiction conclue, avant dire droit, à un supplément d'information et ce afin de décider des mesures que l'Etat devrait mettre en œuvre afin de réparer le préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Un supplément d’instruction a été fixé afin de soumettre les observations non communiquées des ministres compétents à l’ensemble des parties, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Et encore, le Tribunal estime que la réparation d'un préjudice écologique n'éteint pas la possibilité de solliciter la réparation d'un préjudice moral au sens de l'article L.142-1 du code de l'environnement sous réserve de démontrer l'existence d'un préjudice, direct et certain résultant des carences fautives pour elles. Par suite, l'Etat a été condamné à verser la somme d'un euro à chacune des associations requérantes.

En définitive, eu égard au montant d'une telle condamnation, le jugement reste symbolique mais vient renforcer la lignée jurisprudentielle des Tribunaux administratifs relative à la reconnaissance de la carence de l'Etat dans la lutte contre la pollution atmosphérique.

Cela étant, il ne faut pas brûler les étapes : le grand procès climatique français n'est encore pas terminé. En effet, il importe de retenir que si la justice administrative reconnaît une carence fautive de l'État, elle rejette cependant la réparation du préjudice écologique et sursoit à statuer sur la demande d'injonction à agir. Ce jugement est un jugement “avant-dire droit” : il faut donc attendre de lire le jugement définitif qui sera rendu dans un peu plus de deux mois pour savoir s'il est ou non historique…

Sandra NICOLET