Chute d’un passager à bord d’un bateau de croisière : tomber de son lit pendant son sommeil est exonératoire des responsabilités de l’organisateur de voyage et du croisiériste

Par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 4 avril 2019, une agence de voyage ainsi que l’organisateur de la croisière vendue par le premier d’entre eux ont été retenus responsables in solidum de l’accident dont a été victime l’une des passagères du bateau.

Le croisiériste s’est alors pourvu en cassation pour contester cette décision et échapper à l’indemnisation des préjudices subis par la victime.

Si la survenance d’un accident au cours d’une croisière ne constitue pas en soi un évènement rarissime, en témoigne l’abondante jurisprudence en la matière, le fait en revanche que celui-ci survienne pendant le sommeil de la victime l’est.

Les circonstances particulières dans lesquelles s’est produit l’accident ont en effet été déterminantes de la solution rendue par la Première chambre de la Cour de cassation le 17 février dernier.Cour de Cassation

Il convient dès lors de revenir sans plus attendre sur les faits d’espèce.

Au mois d’octobre 2014, la passagère victime avait fait l’acquisition, par l’intermédiaire de l’agence de voyage OVP, d’une croisière sur le Rhin. Prestation dont la société Alsace Croisières, en qualité d’organisateur de croisières, sera investie de la réalisation.

Au cours de la première nuit en cabine, dont elle venait de prendre possession, la passagère s’est blessée à l’œil après avoir chuté du lit pendant son sommeil et heurté la table de chevet attenante.

Ce sont dans ces circonstances que les responsabilités de l’agence de voyage et du croisiériste ont été retenues par les juges de première instance et d’appel sur le fondement de l’article L211-16 du Code du tourisme dans sa version applicable au contrat de réservation d’espèce, issue de la Loi n°2009-888 du 22 juillet 2009. Au terme de l’alinéa 1er de cette disposition, toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l'article L. 211-1 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ce contrat ait été conclu à distance ou non et que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services.

Cet article assujettit l’exécution des obligations nées des contrats relevant de l’article L211-1 du Code du tourisme au régime de la responsabilité de plein droit, qu’il convient de distinguer de la responsabilité pour faute, en ce sens qu’elle est mobilisable sans qu'il soit nécessaire pour celui qui l’invoque de rapporter la preuve d'un manquement du débiteur à son obligation de prudence et/ou de sécurité, comme par exemple le caractère dangereux de la table de chevet que la passagère avait heurtée dans sa chute.

Il suffira de démontrer que le résultat promis n’a pas été atteint, dans le cas d’espèce que la croisière ne s'est pas déroulée conformément aux attentes du voyageur c’est-à-dire sans heurts. En l’occurrence, l’agence de voyage était de plein droit tenue, à l’égard de la passagère, de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu, alors même que la prestation litigieuse n’a pas été exécutée par elle-même mais confiée au croisiériste.

Nonobstant sa simple qualité de fournisseur de la prestation, la responsabilité du croisiériste a été élevée au même niveau que celle l’agence de voyage, sur le fondement commun de l’article L211-16 du Code du tourisme. Bien que la fourniture de la croisière ait été confiée à la société Alsace Croisières par l’agence de voyage elle-même et non la passagère, laquelle n’a jamais contracté de manière autonome et directe avec le croisiériste, il n’en demeure pas moins que cette prestation allait bien au-delà du simple transport des passagers en comprenant également la pension complète avec hébergement en cabine et fourniture de repas. Dès lors que la croisière ainsi proposée constituait un forfait touristique au sens de l’article L211-11 du Code du tourisme, la passagère était également fondée à invoquer le régime de responsabilité de plein droit de l’article L211-16 du Code du tourisme à l’égard de la société Alsace Croisières, en plus de l’agence de voyage. Il convient de garder à l’esprit que ce régime de responsabilité, bien que défavorable au professionnel du tourisme, n’est pas exclusif d’une perspective exonératoire.

L’alinéa 2nd de l’article L211-16 du Code du tourisme octroie en effet à la personne physique ou morale mise en cause la possibilité de s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable :

- soit à l'acheteur ;

- soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat ;

- soit à un cas de force majeure.

La charge de la preuve étant renversée au détriment du professionnel du tourisme, il incombe à ce dernier de rapporter la preuve que l’inexécution ne lui est pas imputable moyennant l’une des trois causes d’exonérations légales précédemment citées. Le contrat de réservation peut stipuler dans ses conditions générales et/ou particulières des causes d’exonération venant s’ajouter aux trois catégories légales. Néanmoins, il est établi qu’une clause qui énumère des événements exonérant le voyagiste de sa responsabilité de plein droit autres que ceux prévus par la loi, est abusive et doit être considérée comme réputée non écrite, de sorte que le voyageur sera fondé à se prévaloir de son inopposabilité à son égard.

En d’autres mots, toute clause contraire tendant à limiter voire exclure la responsabilité de plein droit de l’article L211-16 du Code du tourisme doit être considérée comme abusive.

Cette règle repose sur le fait que les dispositions légales précédemment citées sont d’ordre public et, de ce fait, ne sont susceptibles d’aménagement ou dérogation par des conventions particulières, y compris des clauses contractuelles. L’ordre public prime ici sur la liberté contractuelle.

En appel, les juges n’ont pas adhéré à l’argumentaire développé par la société Alsace Croisières tendant à être exonérée en raison de la faute de la passagère qui aurait fait preuve d’imprudence ou de négligence. Ces derniers ont considéré que le comportement de la passagère lié au fait de s’être retournée dans son lit et d’en avoir chuté, n’était pas fautif et ne pouvait pas non plus être qualifié d’imprévisible ou d’insurmontable, une chute étant toujours possible d’autant qu’elle venait de prendre possession de sa cabine, qu’elle dormait dans ce lit pour la première fois et que les photographies produites par la société Alsace Croisières, du lit et des tables de chevet, démontrent qu’elles présentent des arrêtes anguleuses à proximité du lit et à hauteur de la tête. Dans ces conditions, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que la cause d’exonération du fait imprévisible et insurmontable n’était pas caractérisée à l’occasion de la chute d’une personne de son lit pendant son sommeil. Le raisonnement de la Cour de cassation est aux antipodes.

Cette dernière reproche tout d’abord aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé en quoi une chute survenue dans de telles circonstances était prévisible et aurait pu être évitée par la société Alsace Croisières, autrement dit de ne pas avoir apprécié la réalité de l’imprévisibilité et de l’insurmontabilité soulevée par la défense. Or, en tant que juges du fait et du droit, ce travail d’appréciation leur incombe avant de prendre la décision d’écarter tout fait fautif de la part de la victime. La Cour de cassation précise qu’en tout état de cause, un tel fait fautif peut être retenu quand bien même la victime n’était pas pourvue de discernement au moment de sa commission, par exemple pendant son sommeil. Son affirmation est limpide : « le fait pour une personne de tomber de son lit constitue une faute » et ce, qu’elle que soit son degré de conscience. Enfin, et à l’inverse de la Cour d’appel, la Cour de cassation a conclu au caractère imprévisible et insurmontable de la chute d’une personne de son lit pendant son sommeil. Elle considère qu’elle « constitue un évènement qui, par sa rareté, doit être considéré comme imprévisible, et qui, lorsqu’il se produit, doit être considéré comme insurmontable pour le croisiériste qui n’a pas à prévoir des installations ou des liens rendant impossibles de telles chutes »

Contrairement à ce que laisse entendre le titre de l’œuvre cinématographique d’Étienne Chatiliez, la vie, même judiciaire, n’est pas un long fleuve tranquille, d’autant plus à la vitesse de croisière avec laquelle elle avance.

Résumé de l’article en quelques points :

- Responsabilité de plein droit de l’agence de voyage et de l’organisateur de la croisière ;

- Trois causes d’exonération d’origine légale ;

- Prohibition des clauses limitatives ou élusives de responsabilité (d’origine contractuelle), considérées comme abusives et réputées non écrites ;

- Chute d’un passager pendant son sommeil :

- Un fait fautif du passager, absence de discernement résultant de l’état de sommeil sans incidence ;

- Un évènement imprévisible (rareté) et insurmontable pour le croisiériste (l’aménagement de la cabine ne pouvant le prévenir).

Louise ROUSSELET