Appréciation de la proportionnalité du cautionnement : modalités de prise en compte des biens grevés de sûretés et éléments contenus dans la fiche de renseignements

Le contentieux relatif à l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement fait régulièrement couler beaucoup d’encres. Cette notion n’est pas simple et malgré le fait qu’elle existe depuis plusieurs années, quelques incohérences ressortent, en la matière, dans la jurisprudence.

La première chambre civile dans son arrêt du 24 mars 2021 (Civ. 1re, 24 mars 2021, FS-P, n° 19-21.254) vient apporter des précisions utiles pour apprécier la disproportion manifeste du cautionnement.

Quel texte applicable ?

Avant de s’intéresser à cette décision, il convient de rappeler le texte applicable souvent invoqué, par la caution, pour échapper à ses obligations. Ainsi, en matière de cautionnement, l'article L 332-1 du Code de la consommation (anciennement L 341-4 du Code de la consommation) dispose que : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ». Sur la base de ce texte, si le Juge considère un cautionnement manifestement disproportionné au patrimoine de la caution, celle-ci n'est pas tenue par l'engagement souscrit et n'a donc pas à payer le créancier à ce titre. La complexité de cette notion fait que les juges continuent d'en préciser les modalités d'application, dont récemment dans l’arrêt précité du 24 mars 2021.

Précisions sur les modalités d'application de la notion de disproportion

En l’espèce, par acte du 7 mars 2009, une banque a consenti à une société un prêt de 160 000 €. Le même jour, M. et Mme M… se sont portés cautions solidaires, à concurrence de 52 000 €, des engagements de la société à l’égard de la banque. La débitrice ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné les cautions en paiement et celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement.

La Cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 20 juin 2019, a considéré que les engagements des cautions étaient manifestement disproportionnés à leurs patrimoines et revenus et a prononcé en conséquence la déchéance du droit de la banque de se prévaloir de ces engagements (et l’a condamnée au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l’art. 700 du code de procédure civile).

La banque a donc formé un pourvoi en cassation, en reprochant, d’une part, aux juges du fond de n’avoir pas pris en considération un certain nombre de biens immobiliers appartenant aux cautions sous prétexte qu’ils étaient grevés de sûretés et, d’autre part, d’avoir pris en compte le fait que les cautions s’étaient déjà engagées, l’une et l’autre, à concurrence de 214 500 € auprès d’une autre banque moins de cinq mois avant les engagements litigieux alors que cette information ne figurait pas dans la fiche de renseignements remplie par les cautions au moment de leur engagement (parce qu’elle n’avait pas été demandée par la banque).

Prise en compte des biens, quoique grevés de sûretés, appartenant à la caution

Sur le premier moyen, au visa de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation, la Cour a jugé que « pour apprécier la proportionnalité de l’engagement d’une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte. Leur valeur est appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution ». Elle en conclut qu’« En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens qu’elles grevaient, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». L’approche retenue par la Cour reste compréhensible dès lors que les biens grevés de sûretés n’en demeurent pas moins pourvus d’une certaine valeur. Autrement dit, les juges doivent rechercher si les garanties ne sont pas de nature à affecter la consistance du patrimoine de la caution, sauf à ce que la valeur du bien soit entièrement absorbée par la créance garantie par lesdites sûretés (voir également des décisions en ce sens : Com. 4 juill. 2018, n° 17-11.837; Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.782).

Rappel de l’importance des déclarations de la caution inscrites dans la fiche de renseignements

Par ailleurs, concernant le second moyen, sur la base des articles L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation et 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la Cour a rappelé qu’ « Il résulte de ces textes que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier ». Et d’en conclure qu’ « En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Pour dire les engagements des cautions manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et déchoir la banque du droit de s’en prévaloir, l’arrêt relève que les cautions s’étaient déjà engagées, l’une et l’autre, en qualité de caution personnelle et solidaire à concurrence de 214 500 euros auprès d’une autre banque moins de cinq mois avant les engagements litigieux, mais que cette information n’avait pas à figurer sur les fiches de renseignements, celle-ci ne leur ayant pas été demandée.

Il est certain que la solution retenue vient renforcer la jurisprudence sur ce point (Com. 4 juill. 2018, préc.; Com. 14 déc. 2010, n° 09-69.807) et n’est pas sans rappeler la notion de bonne foi que l’on retrouve dans l’exécution du contrat (l’article 1104 du code civil).

De manière récurrente, les cautions se rattachent aux autres engagements qu’elles ont souscrits auprès d’autres établissements de crédit pour invoquer la disproportion de l’acte de cautionnement. Si les autres engagements de caution doivent naturellement être pris en considération dans l’appréciation de la proportionnalité, il n’en demeure pas moins que ces informations doivent avoir été portées à la connaissance du créancier. Il faut souligner que la caution doit remplir les fiches de renseignements de manière sincère ; aussi le créancier doit pouvoir se fier de ce fait aux déclarations de la caution. La fiche de renseignement remplie par l'emprunteur est un document essentiel qui doit être sincère pour pouvoir s'en prévaloir (Com. 20 avr. 2017, n° 15-16.184).

Il est donc fortement recommandé à la banque, en prévision d’un contentieux pour pouvoir s’en prévaloir, de demander à la caution de remplir une fiche de renseignements lui révélant l’état de ses ressources, de son endettement et de son patrimoine, même s’il ne s’agit pas pour lui d’une obligation (Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294).

En définitive, il convient de retenir que pour apprécier la proportionnalité de l’engagement d’une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte. La détermination de la valeur du bien sera ainsi appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution.

Cet apport, bien qu’utile d’un point de vue juridique, nous laisse toutefois dubitatif d’un point de vue pratique : comment apprécier véritablement un bien grevé? Qui peut dire quelle est sa valeur? Une banque accordera-t-elle un prêt alors que les biens sont grevés de sûretés ?

Aussi, il sera noté que cet arrêt du 24 mars 2021, souligne l’importance pour le banquier de faire remplir une fiche de renseignements par la caution préalablement à la signature de l’acte de cautionnement.

Enfin, il sera précisé que dans le cadre de la réforme pour simplifier le droit des sûretés des propositions de modification notables ont été prévues. Parmi elles, il est intéressant de signaler l’introduction de l’exigence de proportionnalité du cautionnement souscrit par une personne physique au sein du Code civil (art. 2299) et surtout la modification de la sanction du cautionnement disproportionné. Elle devrait désormais résider dans la réductibilité du cautionnement et non plus dans l’impossibilité du créancier de s’en prévaloir. Pour autant cette réforme ne devrait pas mettre fin au contentieux de la disproportion de l’acte de caution, puisque le principe de l’exigence d’une proportionnalité de l’engagement de la caution à ses biens et revenus en étendant son empire à tous les créanciers est maintenue.

Sandra NICOLET