Droit du Cautionnement : la Cour de cassation formule des rappels et apporte des précisions

Dans un arrêt du 6 juillet 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient apporter quelques précisions au régime probatoire à suivre en cas de disproportion, mais ce thème n’est pas le seul de cet arrêt. La Cour a rappelé plusieurs solutions applicables en droit du cautionnement, en ce qui concerne le formalisme, la disproportion du cautionnement et l’information annuelle de la caution. Il s’agit des problématiques récurrentes en matière de contentieux du cautionnement qui occupent régulièrement la Cour de cassation dans les pourvois qui lui sont soumis.

Il importe de mentionner les faits pour mieux cerner le litige. En l’espèce, une banque a consenti à une société un prêt d'un montant de 330 000 euros, garanti par le cautionnement solidaire de deux époux, dans la limite de 429 000 euros et pour une durée de neuf ans. À la suite de la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société, la banque a assigné les cautions, qui lui ont opposé la disproportion de leur engagement et un manquement à son obligation d'information annuelle des cautions.

La cour d’appel a condamné les cautions en paiement et celles-ci ont alors formé un pourvoi en cassation. Leur pourvoi porte sur une erreur dans la mention manuscrite affectant la validité du cautionnement, la disproportion du cautionnement et le non-respect par la banque de son obligation d’information annuelle de la caution.

Ce pourvoi est rejeté par la Cour de cassation.

1) Sur la question du formalisme

Il est soutenu que l'erreur de retranscription de la formule “mes revenus et mes biens” en “mes revenus et bien” affecte la portée des mentions manuscrites dont la reproduction est prévue par l'article L. 341-2 du code de la consommation, cette erreur pouvant altérer la compréhension par la caution du sens et de la portée de son engagement.

Sur ce point, la Cour de cassation relève, d’abord, que la cour d’appel a retenu que l'emploi du singulier sur l'un des termes de l'expression « mes revenus et bien » dans la mention manuscrite n'est qu'une faute d'accord entre le pronom « mes » et le substantif « bien », qui doivent s'accorder en genre et en nombre.

Puis, elle approuve la cour d’appel d’en avoir déduit que cette imperfection mineure ne permettait pas de douter de la connaissance qu'avaient les cautions de la nature et de la portée de leur engagement, ce dont il résulte que cette erreur matérielle n'a pas affecté la validité du cautionnement et n'a pas eu pour conséquence de limiter le gage du créancier.

Il sera noté que cette solution a été ordinairement retenue par la Cour de cassation, notamment :

- Cass. com., 5 avr. 2011, no 10-16.426, Bull. civ. IV, no 54 : L'apposition d'une virgule entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité n'affecte pas la portée des mentions manuscrites conformes aux dispositions légales); - Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, no 12-18.544, Bull. civ. I, no 74 : L'évocation du caractère « personnel et solidaire » du cautionnement, d'une part, la substitution du terme « banque » à ceux de « prêteur » et de « créancier », d'autre part, n'affectaient ni le sens ni la portée des mentions manuscrites prescrites par les articles L. 341-2 et suivant du code de la consommation ; - Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 12-19.094, Bull. civ. I, n° 174 : Ni l'omission d'un point ni la substitution d'une virgule à un point entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité, ni l'apposition d'une minuscule au lieu d'une majuscule au début de la seconde de ces formules, n'affectent la portée des mentions manuscrites.

Toutefois, il importe de mentionner que pour les cautionnements conclus depuis le 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, la mention n’est plus nécessairement manuscrite mais doit juste être apposée par la caution et les termes de la mention ne sont plus strictement prédéterminés (cf. C. civ., art. 2297 nouveau).

2/ Sur la question de la disproportion

La Cour de cassation rappelle qu’il incombe à la caution qui entend opposer au créancier la disproportion de son engagement par rapport à ses biens et revenus à la date de sa souscription, d'en rapporter la preuve.

Cette solution est une constante et vient prolonger une solution habituellement rappelée dans les arrêts de la Cour de cassation :

- Cass. com., 12 juin 2019, no 18-11.067 : « dès lors qu'un cautionnement conclu par une personne physique n'était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s'en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où il l’a appelée en paiement » ;

- Cass. com., 13 sept. 2017, no 15-20.294, Bull. civ. IV, n° 108 : « ce texte [ancien article L. 332-1 du Code de la consommation] ne lui impose pas [au créancier] de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus »

- Cass. com., 22 janv. 2013, no 11-25.377 : « dès lors qu'il appartient à la caution qui entend opposer à la caisse créancière les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation, de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus, la cour d'appel n'a pas inversé la charge de la preuve en retenant que M. et Mme X… ne démontraient pas le caractère manifestement excessif de leurs engagements de caution »

Dans leurs écritures d'appel, les époux faisaient valoir que leur engagement de caution était disproportionné au regard de leurs biens et revenus. Or, lorsque des époux qui se sont portés cautions de la même dette, font masse de leurs biens et revenus, sans préciser le patrimoine propre à chacun d'eux, et ne prétendent pas que l'engagement de chacun d'eux était disproportionné au regard de ses seuls biens et revenus.

Selon la Cour de cassation, aucun d'entre eux n'ayant donc soutenu que son engagement de caution était disproportionné par rapport à ses seuls biens propres et, le cas échéant, indivis ainsi qu'à ses seuls revenus, la cour d'appel, qui a constaté que le montant cautionné représentait moins d'un quart de l'actif net patrimonial du couple, a pu statuer comme elle l'a fait.

Le moyen n'est donc pas fondé, les cautions n’ayant pas rapporté la preuve de la disproportion de leur engagement par rapport à leurs biens et revenus à la date de sa souscription.

3) Sur l’information annuelle de la caution

La preuve de l’accomplissement des formalités prévues par l’article L. 341-6 du Code de la consommation incombe à la Banque.

Il sera observé que l’article L. 341-6 du Code de la consommation – comme l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier qui pose des règles identiques – ne précise pas quel est le mode d’envoi à respecter par l’établissement prêteur pour exécuter son obligation d’information annuelle. En particulier, les textes n’exigent pas l’envoi d’une lettre recommandée. La Cour de cassation, si elle ne requiert pas la preuve de la réception de la lettre par le destinataire (Cass. com., 2 juill. 2013, n° 12-18.413), exige la preuve de son expédition. Elle a ainsi jugé, au visa de l’article L. 313-22, que le paiement sans protestation des frais d’information par la caution ne suffisait pas à apporter cette preuve (Cass. com., 15 déc. 2015, n°14-10.675). La production de la copie d’une lettre est également insuffisante, ce qui est conforme au principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même.

Dans notre cas d’espèce, la Cour de cassation juge que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a considéré, par motifs propres et adoptés, que la banque rapportait la preuve de l'envoi des lettres d'information annuelle aux cautions en produisant : - d'une part, les courriers de mars 2011, mars 2012 et mars 2013 adressés à ces dernières, qui contiennent ladite information ; - d'autre part, les listes des lettres d'information adressées de 2011 à 2013 aux personnes s'étant portées caution au profit de la banque, sur lesquelles figurait le nom des deux cautions, ainsi que le procès-verbal de constat de l'huissier de justice ayant procédé au contrôle par sondage de l'édition, du contenu, de la mise sous pli et de l'expédition des lettres d'information annuelle des cautions correspondant à la liste précitée, attestant ainsi globalement des envois annuels aux cautions.

Sur la preuve de l’envoi de la lettre par la banque il est intéressant de se reporter aussi aux arrêts suivants : - Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, no 01-03.921, Bull. civ. I, no 225 : « la lettre d'information datée du 6 janvier 2015 et envoyée par pli recommandé avec demande d'avis de réception à l'adresse indiquée à la banque par la caution sur son dernier engagement était revenue avec la mention « avisé mais non réclamé », ce dont il résultait que cette adresse était exacte ; il n'appartenait pas à cet établissement de rechercher une autre adresse que celle fournie par la caution ». - Cass. com., 17 nov. 2015, no 14-28.359 : « la Caisse produit la copie de lettres simples datées du 20 février 2002, 20 février 2003, 24 février 2004, 20 février 2006, 19 février 2007, 18 février 2008, 18 février 2009, 17 février 2010 et 16 février 2011, d'une lettre du 9 mars 2006 à laquelle est annexé un décompte des sommes dues à cette date, les relevés informatiques de l'ensemble des lettres d'information envoyées aux cautions en février ou mars de chaque année et la directive générale de la Caisse enjoignant à ses agences d'envoyer ces informations ; que ces documents ne permettent pas de vérifier que les informations annuelles ont été fournies par la Caisse à M. X… jusqu'à extinction de la dette garantie et qu'elles ont répondu aux prescriptions légales ; - Qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi les documents produits par la Caisse étaient insuffisants pour établir le respect des exigences légales d'information annuelle de la caution, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé »

C’est donc le rappel de l’application d’une jurisprudence constante : la banque doit prouver l’envoi de l’information annuelle à la caution et non sa réception par celle-ci.

Il sera fait observer qu’à compter du 1er janvier 2022, l'article L 313-22 du Code monétaire et financier ainsi que les autres textes imposant l’information annuelle de la caution (C. civ. art. 2293, al. 2 ; C. consom. art. L 333-2 et L 343-6 ; Loi 94-126 du 11-2-1994 art. 47, II-al. 2) ont été abrogés et remplacés par l’article 2302 du Code civil. Néanmoins, les principes énoncés ci-dessus en matière de preuve restent transposables à ce nouveau texte.

Cet arrêt du 06 juillet 2022 constitue donc un rappel important tant pour le créancier que pour les cautions sur les solutions à retenir en matière de charge de la preuve, notamment s’agissant de la disproportion pour les cautions et l’envoi de la lettre annuelle d’information pour la banque.

Sandra NICOLET