La limitation de l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale précisée dans la Loi Bioéthique

Tel que nous l’évoquions dans un précédent hebdomadaire (H n°72), la loi bioéthique, définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021, emporte son lot de nouveautés. Au sein de cet article, il sera évoqué le recours aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale, qui ont été précisées.

Revenons tout d’abord sur les notions relatives à l’imagerie cérébrale avant d’envisager son utilisation.

L’imagerie cérébrale repose sur des techniques médicales variées parmi lesquelles l’IRM et le scanner ou encore l’électroencéphalographie (ECG) sont les plus utilisées. Ces méthodes d’imagerie anatomique ont pour objet d’informer sur la configuration du cerveau et peuvent être distinguées de l’imagerie fonctionnelle, qui vise à informer sur le fonctionnement cérébral.

La première est donc conçue pour mettre en valeur les structures cérébrales et ce qui peut venir les perturber (ex : tumeurs, déformations, etc.), tandis que l’imagerie fonctionnelle mesure l’activité du cerveau « en action ». Cela permet d’étudier le rôle de chaque structure cérébrale.

La crainte de l’utilisation de ces dernières données, issues donc des techniques d’imageries fonctionnelles, avait conduit le législateur au sein de la Loi Bioéthique 2011 à introduire un article 16-14 du Code civil apportant un cadre d’utilisation. A date, cet article disposait que : « Les techniques d'imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d'expertises judiciaires. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l'examen, après qu'elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l'examen. Il est révocable sans forme et à tout moment. »

Cette prise de conscience était notamment due au fait que l’imagerie cérébrale peut être utilisée de manière problématique en justice. Effectivement, il a été mis en exergue le « neurodéterminisme », notion regroupant l’interprétation, parfois contestable, des images cérébrales. A titre d’exemple, il a été évoqué des sujets controversés tels que l’utilisation d’un détecteur de mensonge dans le cadre de procès pénal (en Inde notamment), ou encore l’utilisation de scanners comme preuve d’altération du discernement entraînant un verdict de non-culpabilité aux Etats Unis. Fort de ces constats, le législateur a préféré dès 2011, encadrer l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale.

Le texte de la loi Bioéthique 2011 est cependant ambigu, car il autorise l’utilisation de l’imagerie cérébrale dans le cadre de l’expertise judiciaire, sans préciser le type d’imagerie utilisable. Les commentateurs de ladite loi regrettaient rapidement qu’il ne soit pas indiqué plus explicitement l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle.

Il était notamment rappelé par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) que : « si l’imagerie anatomique peut permettre de déceler des anomalies éventuellement susceptibles de contribuer à expliquer un comportement particulier, il n’en va pas de même pour l’imagerie fonctionnelle, qui vise à observer l’activité cérébrale afin d’en déduire des conséquences sur le psychisme (technique qui n’est, par ailleurs, pas reconnue comme présentant une fiabilité suffisante). »

Elle poursuivait ainsi : «L’information essentielle que l’on obtient est plutôt binaire, activité ou non d’une zone cérébrale d’intérêt. Il en résulte que ce n’est pas parce qu’un comportement est associé à une image que l’image indique un comportement (avis 116 du CCNE). Le CCNE en 2018 demeure donc, comme dans son avis précédent, très défavorable quant à l’utilisation de l’IRMf (i.e l’imagerie par Résonnance Magnétique fonctionnelle (IRMf) dans le domaine judiciaire. » (Avis CCNE n°129).

La nouvelle loi Bioéthique a donné raison au CCNE et a intégré explicitement la notion d’imagerie fonctionnelle au sein du Code civil. Désormais, l’article 16-14 du Code civil dispose que :

« Les techniques d'imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique ou dans le cadre d'expertises judiciaires, à l'exclusion, dans ce cadre, de l'imagerie cérébrale fonctionnelle. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l'examen, après qu'elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l'examen. Il est révocable sans forme et à tout moment. »

Désormais, l’utilisation de l’imagerie cérébrale fonctionnelle est exclue de tout usage judiciaire.

Cette insertion est louable selon plusieurs point de vue. Tout d’abord, le recours à l’imagerie cérébrale fonctionnelle à des fins probatoires fait naître des interrogations sur le respect de la procédure pénale et le respect de la dignité de la personne humaine. Effectivement, il est aisé d’indiquer qu’une telle utilisation retirerait à l’individu son libre arbitre et l’empêcherait ainsi de faire valoir son droit au silence. Cela serait effectivement en contradiction avec le principe de ne pas participer à sa propre incrimination.

De la même manière, pour les magistrats ou encore les jurés, l’utilisation de l’imagerie cérébrale fonctionnelle risquerait de prôner leur esprit critique, la technique médicale pouvant être une preuve probante. Pourtant, il a été rappelé que les données issues de ce traitement peuvent être interprétatives. Le risque est donc important.

Si l’utilisation néfaste de l’imagerie fonctionnelle en matière pénale peut s’entendre, la question n’est pas autant tranchée pour toutes les procédures. Le Conseil d’Etat notamment a pu montrer l’intérêt de la neuro-imagerie fonctionnelle pour le contentieux de l’arrêts des soins et le refus de l’acharnement thérapeutique. L’affaire LAMBERT en est le parfait exemple.

Effectivement, les Conseillers d’Etats s’étaient basés sur les « résultats des exploitations cérébrales structurales et fonctionnelles » pour rechercher l’évaluation de l’état de conscience du patient (CE, ass. 24 juin 2014, n°385081). Il en était déduit que les lésions cérébrales constatées, qualifiées d’irréversibles, justifiaient l’arrêt des traitements.

Dans une telle hypothèse, et plus généralement dans le contentieux relatif à l’acharnement thérapeutique, l’utilisation de l’imagerie cérébrale fonctionnelle apparait alors comme une corolaire.

L’exclusion mentionnée au sein de la Loi Bioéthique ne tient donc pas compte des contentieux spécifiques et il conviendra d’être vigilant sur l’utilisation et la portée de cet article. Et pour cause, ne faudrait-il pas voir ici les prémices de l’actualisation du débat sur l’euthanasie, eu égard aux méthodes utilisées pour justifier ou non d’un acharnement thérapeutique. Une telle interrogation demeure ouverte.

Pauline FONLUPT