Bail commercial : l’activité de vente à emporter ou la livraison sont-elles incluses dans l’activité de restauration ?

Face à la propagation du coronavirus, différentes mesures ont été prises par le Gouvernement. Certaines d’entre elles intéressent plus particulièrement les restaurateurs. Selon un décret n° 2020-1643 du 22 décembre 2020 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, durant le re-confinement puis le couvre-feu, les restaurateurs peuvent ouvrir leurs établissements pour quelques activités limitées, dont la vente à emporter ou la livraison. Ainsi, pour s’adapter face à l’interdiction de recevoir du public, bon nombre de restaurateurs ont proposé la vente à emporter pour maintenir leur activité de restauration, et adapter leur modèle économique. Une question cruciale qui revient régulièrement est apparue : celle de savoir si la mention dans le bail commercial de l’activité de restauration autorise ou non l’activité de vente à emporter ou de livraison ?

1. Si l’on se réfère à la jurisprudence, jusqu’à présent, elle considérait que l’activité de restauration n’incluait pas la vente à emporter. La vente à emporter devait être expressément mentionnée dans le bail. De ce fait, le restaurateur envisageant de pratiquer la « vente à emporter » devait s’assurer ou faire en sorte que son bail commercial comporte expressément cette faculté. Le locataire qui souhaitait adjoindre une activité à celle qu’il exerce déjà, devait notifier son intention au propriétaire en respectant la procédure de déspécialisation partielle. A défaut, l’activité de restauration n’incluant par principe pas la vente à emporter, le restaurateur pouvait encourir une sanction et se rendre coupable d’une déspécialisation partielle réalisée sans l’autorisation préalable du propriétaire des locaux.

2. L'exercice d'une activité irrégulière dans les locaux loués constitue une infraction au bail et expose le locataire à différentes sanctions pouvant aller jusqu’à la résiliation du bail et peut aussi justifier potentiellement le paiement d’une indemnité de déspécialisation au profit du bailleur ou encore le déplafonnement du loyer si les critères légaux s’en trouvaient réunis (CA Paris, 16e ch. A, 23 mai 2001, n° 1999/16524 : JurisData n° 2001-146810). En revanche, il existe des activités dites « incluses », « accessoires » ou encore « annexes » qui sont déjà contenues implicitement dans la destination initiale et dans ce cas le locataire n'a pas à solliciter du bailleur une quelconque autorisation pour les exercer puisqu'elles se rattachent naturellement à cette destination contractuelle et à son évolution normale.

Ainsi, les juges estiment, en matière des baux commerciaux, que l’activité incluse est précisément celle qui se rattache “naturellement à la destination contractuelle initiale et à son évolution en fonction des usages ou pratiques commerciales”. Jusqu’à présent une jurisprudence constante confirmait cette solution.

3. Mais, une décision récente et intéressante de la Cour d'appel de Paris, du 17 février 2021 (CA Paris, pôle 5 – ch. 3, 17 févr. 2021, n° 18/07905) est venue bouleverser cette approche.

3.1 Dans cette décision, la cour d’appel a infirmé un jugement rendu le 6 octobre 2017 par le juge des loyers commerciaux près le tribunal de grande instance de Paris. Ce dernier avait considéré que l’adjonction d’activité non incluse au bail, ni connexe ni complémentaire, était une modification notable de la destination contractuelle justifiant purement et simplement le déplafonnement du loyer. La clause de destination contractuelle prévoyait les activités suivantes : « Alimentation générale et restaurant, typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique ». Le restaurant avait cependant mis en place un service de livraison et de vente à emporter, puisque cela constituait, selon lui, une simple modalité particulière de l’exploitation prévue au bail.

3.2 Dans son arrêt du 17 février 2021, la cour d’appel de Paris vient de juger, pour la première fois, que l’activité de vente à emporter pouvait, au regard de l’évolution des usages et pratiques commerciales, être considérée comme une activité “incluse” de celle de restauration. Une évolution jurisprudentielle importante au regard de l'importance de la livraison et des ventes à emporter qui ont été instaurés pour faire face à la pandémie. Dans sa décision particulièrement importante pour le secteur de l’hôtellerie-restauration (CHR), la Cour a tenu à prendre en compte les facteurs suivants : “En outre, il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l’espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plateformes”. L’affaire portait sur un bail commercial qui avait une double destination : d’un côté, l’activité d’alimentation générale ; de l’autre, l’activité de restaurant.

3.3 La Cour d’appel a raisonné en deux temps, et s’est prononcée sur chacune des deux activités, à la fois alimentation générale, et restauration : « La clause doit s’interpréter au regard des deux activités combinées d’alimentation générale et de restaurant pour apprécier si la vente à emporter et la livraison par internet peuvent être considérés comme des activités incluses dans la destination contractuelle ». Dans les deux cas, la Cour a considéré que ces activités incluaient la vente à emporter. Les juges retiennent ainsi d’abord que l’activité d’alimentation générale, qui concerne les marchandises non transformées, “peut être exercée par internet, ce qui implique que les produits puissent être livrés à la clientèle, que ce soit par un service de livraison dédié ou par l’intermédiaire d’une plateforme”. Dans un second temps, s’agissant de l’activité de restauration, la cour retient que “la tendance croissante est de permettre à la clientèle, surtout en milieu urbain, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plateformes”. Cette décision revêt un caractère inédit car c’est la première fois qu’une juridiction reconnaît le changement des usages commerciaux prenant acte que la restauration inclut la vente à emporter : « Au demeurant cette modalité d’exploitation correspond à l’évolution des usages en matière de commerces d’alimentation générale. L’activité d’alimentation générale inclut la revente de produits déjà transformés, et donc de plats cuisinés dans un format individuel ou familial, produits alimentaires destinés à la consommation des particuliers ou des ménages, la vente de ce type de produits étant courante et conforme à l’évolution des usages en matière de commerces d’alimentation générale ».

« Il s’ensuit que les activités de vente à emporter de plats confectionnés et cuisinés sur place et de vente de ces plats par internet avec livraison constituent une modalité particulière d’exploitation de l’activité de restauration combinée à celle d’alimentation générale que le bail autorise, ce qui est conforme à l’évolution des usages commerciaux ; qu’il s’agit donc d’activités incluses dans la destination contractuelle 'Alimentation générale et restaurant, typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique ». La Cour conclut ainsi que « Par conséquent, le fait que la livraison puisse, le cas échéant, s’adresser à la clientèle qui consomme sur place et qui peut souhaiter se faire livrer à domicile, mais aussi à une clientèle située dans d’autres arrondissements, est indifférente, cette activité étant incluse (…) ». La Cour estime donc que la vente à emporter et la livraison à domicile sont des activités incluses dans la destination contractuelle de restauration à l’aune du changement des usages commerciaux.

4. Si cette tendance jurisprudentielle venait à se confirmer, il pourrait être soutenu dorénavant que la clause du bail commercial autorisant l’activité de restauration, ou petite restauration, inclut l’activité de vente à emporter, même si celle-ci ne figure pas expressément au bail. Dans ces conditions, non seulement il ne serait pas utile de demander l’autorisation au bailleur pour pratiquer cette activité ; et le bailleur ne pourrait pas non plus s’y opposer.

Il convient cependant de rappeler que dans ce cas d’espèce, cela concernait un restaurant japonais dont la spécialité était la confection de sushis. Or, il n’est pas rare, voire même assez habituel, que ce type de restaurants mettent en place un service de vente à emporter ou de livraisons. En revanche, la solution aurait peut-être été différente si cela avait concerné un restaurant gastronomique qui en temps normal n’aurait pas envisagé de proposer les services précités… La solution rendue par la Cour d’appel de Paris est certes inédite, il n’en demeure pas moins qu’il importe d’attendre d’autres décisions de ce type, et surtout des décisions de dernier ressort, pour qu’à l’avenir l’on puisse affirmer qu’il s’agit bien d’une « nouvelle jurisprudence ».

Nous vivons dans un monde continuellement en mouvement. Le droit doit assurément s’adapter pour une application adéquate, et prendre en compte des paramètres autre que juridique, en l’occurrence économique, pour répondre de manière efficace à l’évolution existante.

Sandra NICOLET Avocat Counsel