Quand la liberté artistique se confronte à d’autres droits fondamentaux

La liberté de création artistique ne saurait être absolue, n’en démontre le dernier Bad buzz dont a fait l’objet une célèbre marque de luxe.

En effet, le vendredi 22 novembre 2022, le directeur général de la marque et son directeur artistique présentaient « personnellement » leurs excuses sur les réseaux sociaux après un choix artistique ayant scandalisé l’opinion publique.

L’origine de ce mea culpa ?

Une campagne publicitaire dévoilée le 18 novembre avec diverses photographies mettant en avant les nouveaux sacs produits par la marque en forme de peluche, le tout dans un décor où sont intégrés tout à la fois divers accessoires symboliques de la culture BDSM (Bondage, domination et sadomasochisme) avec comme mannequins… des enfants.

Ces derniers sont photographiés debout sur un canapé ou sur un lit et tenant dans leurs mains lesdits sacs en forme d’ours lesquels sont vêtus de sangles et de ceintures noires à clous inspirées des pratiques sexuelles susmentionnées.

Divers éléments interpellent dans ces photographies : la volonté de présenter l’un des enfants debout sur un lit dans une chambre, lieu pouvant être considéré comme personnel et intime ; le choix des couleurs utilisées pour le décor, un lit dont la couleur rose symbolise l’enfance et la délicatesse et se faisant manifestement recouvrir d’un grand ruban dont le noir peut être associé à l’obscurité et au bondage BDSM ; la présence de boissons énergisantes ; de canette de bières posées au sol ou de verres de vin et de champagne qui, bien que vides, se confrontent dans un plan ou les jouets colorés et innocents d’enfants couvrent le sol.

Toutefois, la sexualisation des enfants à travers cette campagne publicitaire provoquante n’est pas la seule erreur commise par la marque. En effet, dans une autre campagne publicitaire pour sa collection printemps-été 2023 « girlboss » certains visuels assez troublants ont été relevés par des internautes. Dans cette campagne, un sac de la célèbre marque est posé sur un bureau désordonné, tapissé par de nombreux papier dont un extrait d’un avis controversé de la Cour Suprême des Etats-Unis de 2008 relatif à une histoire de pédopornographie.

Dans cette affaire un homme, avait utilisé un forum de discussion public d’Internet afin de publier un message proposant d’échanger du matériel pédopornographique avec d’autres utilisateurs. Suivant la perquisition à domicile diligentée par les services de polices de nombreux disques contenaient des images d’enfants se livrant à une conduite sexuellement explicite dont certaines sadomasochistes avaient été saisies. La Cour Suprême avait fait droit à l’homme en question en statuant de la sorte : « le fait d’offrir, de demander, de transférer, de vendre ou d’échanger de tels documents à caractère pédopornographiques ne violait pas le premier amendement de la Constitution américaine ».

Eu égard au fait que la marque ait souhaité dans un premier temps porter plainte contre son scénographe, ce genre de situation interroge plus particulièrement sur les limites de la liberté artistique.

Si la liberté d’expression dans le domaine de l’art est particulièrement étendue, elle ne saurait s’affranchir des dispositions du code pénal et de l’intérêt supérieur de l’enfant. En réalité, la frontière entre l'acte inadmissible et la représentation permise n'est pas toujours facile à tracer, comme l’expliquait très justement Jean-Claude Leclerc dans ses chroniques sur l’art.

Pour rappel, la pédopornographie est la représentation à caractère sexuel d’un mineur, un enfant portant un sac peluche BDSM dans un environnement d’adulte n’est donc pas, stricto sensu, une image de pédopornographie, mais flirte avec les limites des dispositions du code pénal.

Par exemple, l’article 227-22 dudit code vient sanctionner le délit de « corruption de mineurs », fondement sur lequel la chambre criminelle de la Cour de cassation a sanctionné le 25 mai 2011 (n°10-80.951) comme une corruption de mineur le fait d’inciter un mineur à poser de façon érotique en vue de le photographier.

Le plumitif de la Haute juridiction était le suivant « le fait de réunir des mineurs pour les faire adopter devant une caméra, ou un appareil de prise de vues des poses pornographiques ou obscènes, constitue le délit de corruption de mineurs prévu par l'article 227-22 du Code pénal dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er mars 1994, et la diffusion de ces scènes par quelque moyen que ce soit constitué le délit prévu par l'article 227-23 du même Code dans sa rédaction issue de la loi 98-468 du 17 juin 1998 ».

In fine, il est difficile de qualifier pénalement l’érotisme mettant en scène des enfants ou les images sexualisées d’enfants, car aucune disposition pénale ne vient explicitement sanctionner la photographie d’enfant indirectement sexualisé. Cela ne relève pas de la définition de « pornographie enfantine » et demeure donc légal dans de nombreux pays.

Si la liberté d’expression dont découle la liberté artistique est un droit fondamental dans notre société, elle ne peut nier l’intérêt supérieur de l’enfant et sa protection. La provocation artistique est appréciable dès lors qu’elle ne vient pas servir les intérêts commerciaux d’entreprises, qui, par l’intermédiaire de ces photos, peuvent exploiter et alimenter sans le vouloir un certain réseau.

Aurélie PUIG & Alicia COLLOT