La garantie décennale des constructeurs : rappels et nouveautés

Dans son arrêt du 19 mars 2020 (n°18-22.983), la troisième chambre civile de la Cour de cassation amenée à connaître notamment des litiges de construction, a cassé la décision rendue en appel ayant rejeté les demandes des acquéreurs d’une maison tendant à engager la responsabilité des vendeurs suite à la découverte de dysfonctionnements au niveau de son réseau d’assainissement.

A l’appui de sa décision, la cour d’appel s’appuie sur le fait qu’à l’occasion de l’acte notarié, les acquéreurs ont accepté de renoncer à tout recours à l’encontre des vendeurs portant sur le raccordement au réseau d’assainissement.

C’est sans connaître le caractère particulièrement inflexible de la garantie décennale que la Cour de cassation a entendu rappeler au visa de l’article 1792-5 du Code civil en vertu duquel la clause ayant pour effet d’exclure ou de limiter la garantie décennale doit être réputée non écrite et ainsi inopposable à celui ayant la faculté de se prévaloir de la garantie.

La lecture des circonstances entourant cette affaire est également intéressante en ce qu’elle nous apprend que l’auteur de l’action en justice fondée sur la garantie décennale n’est pas nécessairement le propriétaire à l’origine des travaux litigieux, mais peut aussi être l’acquéreur de l’ouvrage lorsqu’une vente est intervenue dans l’intervalle.

Soulignons enfin qu’à la date à laquelle cet arrêt a été rendu, la France entrait dans son 7ème jour de confinement et que cette situation particulièrement n’a pas naturellement manqué d’impacter le délai dans lequel la garantie décennale devait être mise en œuvre sous peine de forclusion.

Aussi, le présent article envisagera successivement les questions suivantes : - Qu’est-ce que la garantie décennale et quels désordres recouvre-t-elle ? - Dans quels délais la garantie décennale mise en œuvre et notamment lorsque son délai est arrivé à expiration entre le 12 mars et le 23 juin 2020 ? - Que se passe-t-il lorsqu’une vente est intervenue depuis l’exécution des travaux litigieux ?

I- Définition

La garantie décennale ou assurance de responsabilité civile décennale est définie à l’article 1792 du Code civil au travers des désordres dont elle couvre la réparation : « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. »

La garantie décennale intervient dans le cadre de la construction d’un ouvrage de plus ou moins grande envergure : il peut s’agit de l’édification d’un ouvrage neuf ou de la réalisation de travaux sur un ouvrage déjà existant (agrandissement, rénovation, façade, menuiserie, terrassement, etc). En vertu de cette garantie, le constructeur est présumé responsable pendant 10 ans des dommages portant atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage c’est-à-dire l’usage qu’on est censé en faire une fois celui-ci édifié (habitation, professionnel, commercial pour un immeuble). Les désordres purement esthétiques sont donc exclus du champ d’application de la garantie décennale et relèvent tout au plus de la garantie de parfait achèvement. Il convient en effet de rappeler que les garanties légales constructeur sont au nombre de trois : - La garantie de parfait achèvement d’un an de l’article 1792-6 alinéa 2 du Code civil ; - La garantie biennale de deux ans de l’article 1792-3 du même code ; - La garantie décennale de dix ans de l’article 1792 du même code ;

Ces garanties se distinguent par la nature des désordres qu’elles couvrent et leur délai de mise en œuvre respectif (la durée du délai augmentant avec la gravité du désordre). Elles ont en revanche en commun leur point de départ : celui de la réception des travaux, à savoir l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. La réception peut être expresse, c’est-à-dire formalisée dans un procès-verbal signé, ou tacite lorsqu’elle se déduit du comportement du maître d’ouvrage lorsque celui-ci s’acquitte de la facture du constructeur dans son intégralité et/ou prend possession de l’ouvrage. Il s’en suit que ces trois garanties se chevauchent jusqu’à ce que leurs délais respectifs expirent.

II- Délai de mise en œuvre

L’action en justice tendant à engager la responsabilité du constructeur sur le fondement de la garantie décennale doit être introduite dans un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux La demande introduite une fois le délai expiré sera rejetée. Il en ira toutefois différemment si ce dernier est venu à expiration entre le 12 mars et le 23 juin 2020 compris dans la mesure où le confinement et la mise à l’arrêt de nombreux secteurs ont bien entendu affecté les démarches amiables et judiciaires des justiciables. Dans ce contexte, et suivant Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, le Gouvernement a accepté de proroger certains de nombreux délais et notamment celui applicable à la garantie décennale.

Article 1 :

« I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. »

L’article 2 en explique les modalités de prorogation : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. »

Application

Si le délai de 10 ans a expiré le 15 avril 2020, le cours du délai sera interrompu à cette date et recommencera à courir à compter du 24 juin, et dans la limite d’une durée de 2 mois. Le délai de 10 ans expira donc en tout état de cause le 24 août 2020.

III- Garantie décennale et vente de l’ouvrage

L’action fondée sur la garantie décennale, à l’instar de toute autre garantie constructeur, est attachée à la propriété de l’immeuble puisqu’elle en est l’accessoire. Elle se transmet donc à l’acquéreur de l’ouvrage en même temps que celui-ci, lequel sera ainsi fondé à engager la responsabilité de l’entrepreneur ayant réalisé à l’époque les travaux à la demande des anciens propriétaires, nonobstant l’absence de tout lien contractuel entre eux.