Les nouveaux contours du délit d'abandon de famille

Le droit de la famille a récemment connu de nombreuses réformes, tant par la loi réformant la procédure civile que celle réformant spécifiquement le divorce judiciaire, réformes qui ont également eu des répercussions au sein de la sphère pénale directement liée à la sphère familiale.

Les infractions pénales familiales poursuivies sont les faits de non représentation d’enfants, de violences familiales et conjugales ainsi que d’abandon de famille.

C’est sur cette dernière infraction que nous allons nous concentrer au sein de cet article.

Historiquement, ce dernier délit correspondait au fait, pour un parent, ayant été condamné au versement d’une somme (pension alimentaire ou toute autre contribution) au profit de l’autre parent, de ne pas respecter cette condamnation et donc de priver le créancier de cette pension.

Cette infraction comprenait alors deux aspects :

• Le respect de l’autre, ex conjoint • Le respect de l’autorité judiciaire par le respect des décisions qu’elle rend

Jusqu’à présent, cette condamnation au paiement n’était prévue que par une décision de justice qui en fixait le montant ; c’est la raison pour laquelle le Code pénal prévoyait, au titre des éléments constitutifs de l’infraction d’abandon de famille, la non exécution d’une décision judiciaire.

Mais qu’en est-il à l’heure actuelle où ces condamnations peuvent être également fixées pas des actes extra-judiciaires ? Que devient l’infraction d’abandon de famille avec la réforme du divorce ?

L’article 227-3 du Code pénal en vigueur actuellement énumère désormais les actes dont l’inexécution est sanctionnée :

• Une décision judiciaire • Ou l’un des titres mentionnés aux 2° à 5° du I de l'article 373-2-2 du code civil

Ces renvois correspondent quant à eux aux actes suivants :

• Une convention homologuée par le juge ; • Une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l'article 229-1 du Code civil ; • Un acte reçu en la forme authentique par un notaire ; • Une convention à laquelle l'organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire en application de l'article L. 582-2 du code de la sécurité sociale.

Désormais, l’intervention de l’autorité judiciaire n’est plus nécessaire en toutes hypothèses, se trouvant supplée par celle d’un notaire, qui peut donner force exécutoire à l’accord des parties, soit par acte notarié, soit, en cas de divorce par consentement mutuel, par la réception de l’acte d’avocat consignant cet accord.

Allant encore plus loin, l’intervention judiciaire est encore éludée lorsque l’article 373-2-2 5° du Code civil admet que ce soit un organisme débiteur de prestation sociale, telle que la CAF, qui puisse « donner force exécutoire » à la convention par laquelle les parents séparés fixe leur accord relativement au versement d’une pension alimentaire pour l’entretien et l’éducation des enfants.

Il est dès lors possible de considérer que désormais c’est la force exécutoire de ces actes qui constitue le fondement du délit d’abandon de famille qui sanctionnera dès lors de la même manière le non respect d’un jugement, d’un arrêt de de Cour d’appel ou encore d’une convention de divorce devant notaire.

La reconnaissance, au même rang que des décisions de justice, d’actes extra judiciaires, s’accompagne donc de l’avènement de la force exécutoire de ces actes, plus que leur forme juridique. Pour rappel, la force exécutoire correspond à la qualité que reconnaît la Loi à certains actes juridiques et qui en rend l’application obligatoire.

Mais alors, une critique peut être immédiatement émise : qu’en est-il des engagements purement volontaires d’exécuter une obligation familiale ?

Ces engagements ne se voient à aucun moment conférés de force exécutoire…

Par conséquent, leur inexécution ne viole donc que le respect de la parole donnée et non l’autorité attachée aux titres exécutoires.

Cette conclusion ne fait alors que renforcer la nécessité de l’intervention d’une autorité judiciaire aux côtés des justiciables, leur permettant ainsi l’accès à ces titres exécutoires permettant d’éventuelles poursuites pénales en cas de non respect.

Une seconde critique peut également être émise.

A l’heure actuelle, la jurisprudence constante refuse de prendre en considération tous évènements postérieurs à l’inexécution de l’obligation alimentaire et affectant l’existence même de cette obligation.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’il importait peu, pour la constitution du délit, que la décision judiciaire inexécutée soit ultérieurement déclarée caduque, réformée en appel ou cassée : « la réduction ou la suppression de l’obligation alimentaire, fût-ce avec effet rétroactif, ne saurait avoir pour effet de faire disparaitre l’infraction déjà consommée » .

En statuant ainsi, la Cour de cassation aurait tendance à ôter à l’infraction d’abandon de famille sa dimension familiale qui visait à sanctionner, en plus du non-respect d’une décision de justice, celui des intérêts privés du créancier.

Plus encore, en statuant ainsi, les juges acceptent de condamner une personne se présentant comme un mauvais payeur en premier lieu alors qu’au final, l’obligation alimentaire s’éteignant par une autre décision de justice, aucune atteinte à la famille ne peut être finalement relevée.

Cependant et en conclusion, il est néanmoins possible de juger cette évolution favorable aux justiciables et notamment aux créanciers de pension alimentaire qui se trouvent protégés par la loi pénale, que la pension alimentaire ou prestation autre ait été fixée par un jugement ou par une convention de divorce devant notaire.

A l’ère de la multiplication des procédés familiaux extra judiciaires, destinés à pallier les délais de la justice, cette protection par la loi pénale ne peut être que saluée.

Cécile CREVANT